Élections provinciales 2022. Qui veut d’une école libertarienne ?

No 093 - Automne 2022

Chronique Éducation

Élections provinciales 2022. Qui veut d’une école libertarienne ?

Wilfried Cordeau

La campagne électorale bat son plein et les idées fusent de toutes parts. Le champ de l’éducation n’est pas en reste, puisque s’y joue l’avenir de notre société, et s’y dispute la vision que chaque formation politique s’en est donnée. Résolument libertarien, le Parti conservateur du Québec (PCQ) veut parachever la marchandisation du modèle scolaire québécois.

Chantre des libertés individuelles et de la droite décomplexée, Éric Duhaime aura fort à faire pour convaincre la population que son plan en éducation [1] tient la route, qu’il répond à de vrais problèmes en y apportant des solutions tangibles et, surtout, structurantes pour la jeunesse et la société québécoises.

L’oppression par l’État social

Pour le PCQ, les problèmes en éducation sont à l’image de ceux qui affligent la société québécoise et se résument à peu de choses : un État omnipotent et oppressant, des règles excessives, un système sclérosé, incapable d’innover, uniformisant, privant l’individu de sa précieuse liberté de choix et d’initiative. Au final : un système inefficace et inutilement coûteux, qui prend tout le monde en otage ; des familles privées de places à cause de services de garde trop encadrés ; des élèves décrochant à cause d’une école trop commune et de programmes scolaires uniformes ; des enseignant·es dépossédé·es de leur intelligence et de leur autonomie professionnelles par des conventions collectives sauvagement imposées par des syndicats ; des étudiant·es privé·es de conférences palpitantes et d’un « parcours académique normal » par des associations à la solde de wokes avides de cancel culture, etc. Surfait, le récit est tristement folklorique et le tour des problèmes est aussi vite fait que prévisible.

La liberté par le marché

Pour les libertariens, seule la liberté peut déconstiper le système. Pour le PCQ, celle-ci réside dans le pouvoir de tout individu d’exprimer sans contrainte un choix dans un rapport d’offre et de demande. Et, bien plutôt qu’un système régi, régulé et organisé par des instances centrales, fussent-elles démocratiques et redevables à la population, la liberté de choix est garantie par le marché, antithèse de la bureaucratie.

Pour se délivrer de l’étatisme, la recette libertarienne est simple : définancement, décentralisation, déréglementation, tarification, privatisation, mise en concurrence de tous les agents. Ainsi, le PCQ se donne pour tâche d’accélérer la marchandisation de l’éducation de la petite enfance à l’université, car le marché seul sauvera le système, en déformant ses modes de régulation pour plus de compétition, et donc de liberté de choix.

Faire du neuf avec du vieux

Depuis une cinquantaine d’années, les idées libertariennes en matière d’éducation au Québec se résument essentiellement à une poignée de propositions : abolir les commissions scolaires, instaurer des bons d’éducation (school vouchers) et des écoles à charte (charter schools), rémunérer le corps enseignant au mérite, abolir les cégeps (en tout ou en partie), déréglementer les frais de scolarité universitaires. Bien que flirtant avec les deux dernières [2], le parti d’Éric Duhaime a tout misé cette fois sur les trois premières pour une marchandisation radicale des services de garde éducatifs et du réseau primaire et secondaire.

En proposant des allocations hebdomadaires (200 $) ou des bons d’éducation, le PCQ prétend octroyer aux parents la liberté de choisir l’établissement le plus apte à fournir des services répondant aux besoins et aspirations de leurs enfants. En contrepartie, il mettrait fin aux subventions et tarifs réduits des garderies et des CPE, aux guichets uniques, à l’obligation de fréquenter l’école de quartier, à l’uniformité du programme général de formation, etc. Tous mis en concurrence, les établissements devront rivaliser d’innovation (gage de qualité pour les libertariens) pour attirer et fidéliser ces clientèles, et demeurer ouverts selon la loi de l’offre et de la demande. Afin de pouvoir moduler leur produit au gré de la demande, le PCQ propose de transférer vers les écoles publiques des pouvoirs de gestion supplémentaires (financement, embauche, immeubles) et même en matière curriculaire, pour les doter de véritables dirigeants d’entreprises scolaires, redevables à des conseils d’administration locaux, laissant au Ministère et aux centres de services scolaires une fonction minimaliste de pilotage.

Bien plus qu’une nouvelle vague de décentralisation, c’est un éclatement des réseaux de services de garde et scolaires, doublé d’une marchandisation, que propose le PCQ. Puisse-t-on y ajouter d’autres entités privées, soit pour le financement des infrastructures, soit pour des projets internes, voire la gestion des établissements, et on dope le marché. La création d’écoles à charte (charter schools), entièrement subventionnées par l’État, mais opérant comme des entreprises privées (selon les variantes, elles peuvent même être à but lucratif ou possédées par des entités étrangères), vient y concourir.

Contradictions et abstractions inquiétantes

Le remplacement d’une régulation étatique, axée sur l’équité et la recherche du bien commun, par des dynamiques de marché ne manque pas d’inquiéter. Mais les priorités du programme conservateur soulèvent d’importantes préoccupations qui dépassent l’idéologie, puisqu’elles font fi d’enjeux actuels et fondamentaux, la rareté de la main-d’œuvre dans tous les corps d’emploi n’étant pas le moindre.

Alors que la supériorité de l’encadrement et des services dispensés par les CPE pour le développement des jeunes enfants sur les garderies privées non subventionnées n’est plus à démontrer, le PCQ propose d’abolir toute subvention, déréglementer les tarifs et mettre toutes les installations en compétition, sans égard à leur accessibilité. Tandis que le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) et l’UNESCO pointent du doigt la ségrégation scolaire croissante causée par la compétition entre établissements, le PCQ propose de l’exacerber. Et ce, en reproduisant le modèle marchand de pays qui ont vu s’aggraver les problèmes d’iniquités scolaires et l’instabilité de leur réseau, pour des classements aux tests internationaux (PISA au premier chef) finalement moins avantageux que le Québec et le Canada. On s’explique mal, par ailleurs, comment décentraliser vers les écoles la gestion du curriculum scolaire, des immeubles, de l’embauche et de la négociation collective pourrait aider les directions locales à se libérer de la paperasse et de la bureaucratie, à résoudre la pénurie de personnel scolaire et à disposer de plus de temps pour assumer un quelconque leadership pédagogique… Enfin, l’imposition de 30 minutes d’éducation physique par jour, au nom du bien commun (la santé publique qui plus est), à un réseau d’écoles autonomes et libres de leur gestion ne sonne-t-il pas comme une intervention centrale, planifiée, contraignante et liberticide ?

Un instrument de désolidarisation ?

Les libertariens ne s’intéressent généralement pas à ce que fait ou transmet l’école, à sa mission culturelle, mais plutôt à sa manière de le faire. L’efficience du système, l’optimisation des résultats au moindre coût public sont de fait leur principal intérêt. L’enjeu concerne la production de la marchandise scolaire, ce qu’elle vaut, et non ce qu’elle contient. Ainsi, le PCQ ne propose pas d’orientations aux programmes. Tout au plus veut-il valoriser la « culture de l’effort et de la rigueur » et renforcer les apprentissages de base, tout en poursuivant la dérégulation de l’offre curriculaire (options au primaire, couleurs locales et projets particuliers). Exit la culture générale et commune.

Il est à redouter que l’école libertarienne se présente moins comme un projet de société à portée culturelle que comme le rouage d’une société désolidarisée et marchandisée jusque dans sa psyché. L’autonomie à développer chez l’individu serait celle de pouvoir exercer sa rationalité instrumentale et économique dans un univers adulte dominé par le langage du marché. Dans un système aspirant à la compétition entre tous, l’école doit cultiver chez l’individu sa liberté de s’organiser pour faire cavalier seul et survivre (« réussir »), car tout sera en place pour l’abandonner à lui-même. Responsabilisés devant leurs options, les bons citoyens seront ainsi libres de se désolidariser de tout, de s’atomiser et de ne plus faire système ni société puisque There’s no such thing as a society

Risque de tempête ?

Au mieux complètement hors champ et déconnecté, au pire reflet d’une méconnaissance et d’un mépris profonds pour les défis immédiats et structurels réels et démontrés que vivent les gens sur le terrain depuis des années, le programme du PCQ s’enlise dans un positionnement obstinément idéologique, qui soumet de faux problèmes à des solutions radicales, quand il ne propose pas d’ajouter de l’huile sur le feu des iniquités sociales.

Dans sa position actuelle, le PCQ aspire certainement moins au pouvoir à court terme – il serait bien mal pris – qu’à faire son entrée au Parlement. Stratégie de la tête de pont qui fut un temps bénéfique à l’ADQ, et Duhaime en sait quelque chose. Le véritable danger que nous enseigne cet exemple historique réside non seulement dans le potentiel de martèlement et d’implantation de son programme dans l’espace public que lui offrirait l’accès à l’enceinte parlementaire, mais surtout dans l’écoute qu’il pourrait réussir à obtenir d’un gouvernement qui partage avec lui les mêmes racines, valeurs et électeurs, et qui a tendance à gouverner au gré du vent… Seule une véritable offensive sur le fond permettra de contrecarrer cette éventualité.


[1Voir PCQ (2021), Propositions adoptées. Congrès national. 20 et 21 novembre 2021, p. 65-77 et PCQ (2022), Liberté 22. Plateforme, p. 62-65.

[2PCQ (2019), Programme 2019, p. 21-27.

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