Chronique Éducation
Les Libéraux n’aiment pas (non plus) les enfants
Lorsque le Parti libéral du Québec (PLQ) a repris le pouvoir en 2014, il ne portait aucune vision pour les jeunes enfants. Un vague pronostic budgétaire laissait entendre qu’une indexation du tarif quotidien des garderies était envisagée.
À la fin de son mandat, le gouvernement Couillard aura pourtant forcé une vaste reconfiguration de l’organisation, voire de la mission du réseau public des services éducatifs à la petite enfance. Bilan d’une grande braderie en 4 actes.
Acte 1 : imposer un régime minceur
Très vite après l’élection, le dogme de la « rigueur budgétaire », destiné à réduire un déficit anticipé de 3,1 G$ pour 2014-2015, s’imposa à l’ensemble des dépenses de programmes. Pour les trois premiers exercices budgétaires du mandat libéral, les services de garde subventionnés écopèrent donc de coupes de 100 M$, 74 M$ puis 120 M$.
Ces diverses mesures d’austérité ont eu des conséquences aussi immédiates que variées : réduction des heures du personnel, de la variété des collations et repas servis aux enfants, de l’entretien ménager, etc. En plus de diminuer les subventions de fonctionnement des réseaux à contribution réduite, le gouvernement a modifié les règles budgétaires relatives aux immobilisations des centres de la petite enfance (CPE), les forçant désormais à financer 50% de leurs projets d’infrastructures, tout en leur faisant subir des ponctions dans leurs surplus cumulés, de quoi limiter leur capacité de développement ou de rénovation.
Les compressions exercées et la révision des règles budgétaires ne furent pas toutes récurrentes, mais la structure du financement a été profondément et durablement modifiée pour réduire la contribution gouvernementale et transférer sur les épaules des gestionnaires, des équipes de travail et des parents – et en fin de compte des enfants – le poids d’une croisade aveugle contre le déficit budgétaire.
Acte 2 : prendre en otage l’utilisateur-payeur
Une fois élue, l’administration Couillard fit passer le tarif quotidien de 7$ à 7,30$ et annonça une indexation annuelle à compter du 1er janvier. Mais une plus vaste offensive se préparait. En novembre 2014, le rapport Robillard [1] livrait un long plaidoyer en faveur de l’optimisation des places subventionnées, d’une augmentation de plus de 50% de la contribution parentale et d’une révision des mécanismes de financement du réseau subventionné. Le tout, pour d’alléchantes économies annuelles de près de 380 M$.
Aussitôt, le gouvernement lança la réforme du régime de subventions : chasse aux « places fantômes », révision du financement des immobilisations et, surtout, hausse radicale de la contribution parentale, pour extraire 160 M$ supplémentaires par année. Au nom de la « justice sociale », cette augmentation passerait par une « contribution additionnelle », modulée selon le revenu familial, s’ajoutant au tarif « de base », tous deux indexés annuellement. En plus de sa seule promesse électorale, le gouvernement brisait ainsi le principe fondateur d’un tarif unique, réduit et universel. Depuis avril 2015, les parents de la classe moyenne, particulièrement ciblés par ce mode de financement, font face à une surprise de quelques milliers de dollars au moment de leur déclaration de revenus annuelle. De quoi en décourager plusieurs à inscrire leurs enfants dans un service subventionné. Et pour cause…
Acte 3 : exacerber le régime de concurrence
Entre les compressions et la révision de son mode de financement, le réseau subventionné a subi une thérapie de choc qui visait à l’affaiblir et à le délégitimer aux yeux de la population. Pourtant, la supériorité de la qualité des CPE, régulièrement attestée, n’a pas tari la confiance des parents, qui se sont d’ailleurs constamment et massivement mobilisés pour les défendre. Tout en ralentissant le développement des places dans le réseau subventionné, c’est par le « signal prix » que le gouvernement sera finalement intervenu pour pousser les parents de la classe moyenne vers le réseau non subventionné. Entre la contribution additionnelle exorbitante du premier et les crédits d’impôt plus généreux pour le second, leur « liberté de choix » a été savamment orchestrée. Dans son dernier budget, en mars 2018, le gouvernement bonifiait d’ailleurs une nouvelle fois le crédit d’impôt remboursable pour frais de garde, confirmant que « le régime fiscal vise la neutralité quant au coût net d’un service de garde ». En clair, la manœuvre vise à aplanir les écarts tarifaires entre les divers modes de garde pour assurer les conditions d’un marché pleinement concurrentiel.
Résultat : sur les 32000 places développées au Québec entre le 31 mars 2014 et le 28 février 2018, plus de 20000 (63%) sont le fait des garderies privées non subventionnées (GPNS). Celles-ci ont connu une expansion nette de 43% en 4 ans, contre à peine 10% pour les CPE. Durant cette période, la concurrence s’est exacerbée dans les centres urbains, où les GPNS tendent parfois à occuper la plus grosse « part de marché » (33% à Montréal et à Laval). Surtout, ce coup de pouce gouvernemental a permis aux GPNS de s’implanter dans toutes les régions.
Acte 4 : imposer une rationalisation permanente
Ce contexte général a donné au gouvernement l’occasion de rationaliser les modes de gestion et de régulation du réseau subventionné. D’abord, au nom de l’optimisation, la chasse aux « places fantômes » devait forcer les installations à revoir leurs modes d’occupation pour maintenir leur taux de fréquentation au niveau de la norme fixée par Québec. Puis, fin 2015, le gouvernement s’en est pris aux frais de gestion des CPE, les exhortant à accroître leur efficacité administrative en adoptant les pratiques du « tiers performant ». En plus d’une nouvelle compression de 120 M$, le gouvernement a forcé en 2016 le réseau subventionné à accepter de nouvelles règles de financement et lui a octroyé 60 M$ pour se conformer aux nouvelles normes de rationalisation. Environ 30% de cette « allocation de transition » devait être dépensée aux seules fins d’optimiser les pratiques de gestion, l’encadrement du personnel, l’amélioration des processus internes et le contrôle des coûts. Enfin, récemment, le projet de loi 143 [2] introduisait pour l’ensemble des services un nouveau « processus d’évaluation et d’amélioration de la qualité éducative » et de reddition de comptes, les rendant notamment imputables quant à leur contribution à la réussite éducative.
Trop peu trop tard
Ce printemps, le gouvernement annonçait la création de 3800 places en CPE, l’ajout de 2000 places subventionnées (dont 85% en CPE), la réduction à 25% de la contribution exigée des CPE pour le développement de leurs infrastructures, et même à 0% pour les projets situés dans certains environnements (villes, quartiers défavorisés, régions ressources, milieux autochtones). Au demeurant, personne n’est dupe : malgré sa bonne volonté électoraliste, le gouvernement libéral peut difficilement cacher son bilan désastreux. La privatisation indirecte du réseau, l’exacerbation par divers moyens (fiscaux, budgétaires, législatifs et administratifs) d’un régime de concurrence et la rationalisation imposée aux services subventionnés trahissent clairement son agenda néolibéral orthodoxe, campé sur « la maximisation de l’investissement en capital humain ».
Aussi utilitariste qu’irrationnelle, cette approche dessert complètement le bien commun : alors que les services en CPE sont d’une qualité éducative supérieure, la fragmentation de l’offre de services éducatifs prive un maximum d’enfants de cette expertise et de cette opportunité de développement. Pendant ce temps, le gouvernement prétend miser sur la qualité des services à la petite enfance pour assurer la réussite éducative et prévenir le décrochage scolaire. L’hypocrisie est palpable, mais le réseau des services de garde n’est pas au bout de ses peines. Pour la surmonter, il lui faudra un plan clair, cohérent, viable et transparent. Et du leadership politique.
[1] Québec, Rapport de la Commission de révision permanente des programmes, novembre 2014, p.75-93.
[2] Loi visant à améliorer la qualité éducative et à favoriser le développement harmonieux des services de garde éducatifs à l’enfance, L.Q.2017, c.31.