Dossier : Bouger des montagnes. (…)

Dossier : Bouger des montagnes. Les Laurentides engagées !

Mont Kaaikop. Préserver un espace sauvage

Claude Samson

Une lutte s’organise afin de défendre l’intégrité de l’environnement naturel du mont Kaaikop. Deuxième plus haut sommet de la MRC des Laurentides après le mont Tremblant, ce combat souhaite aussi protéger un corridor faunique menant au territoire traditionnel de chasse et de pêche mohawk de Tioweroton.

Le mont Kaaikop est situé à environ 115 km au nord de Montréal, à Sainte-Lucie-des-Laurentides. C’est un des rares sites à l’état quasi sauvage à proximité de Montréal. Son altitude de 838 mètres en fait un écosystème fragile. La forêt pousse très lentement sur une mince couche de sol, d’au plus 25 centimètres d’épaisseur. On retrouve des sections de vieilles forêts, certaines à haute valeur de conservation, ainsi qu’un réseau hydrique complexe comprenant notamment des lacs naturels isolés, situés en altitude et abritant des truites indigènes. Des espèces fauniques menacées sont présentes, dont la Grive de Bicknell. On y retrouve également un pierrier, une formation géologique très ancienne.

C’est un site important de la grande région de Montréal pour la randonnée pédestre et les points de vue qu’il offre sur les paysages. Plus de 4000 personnes s’y rendent annuellement. L’Interval, une base de plein air à vocation non lucrative dédiée aux familles moins nanties, est ouvert depuis près de 75 ans et il est situé au pied du mont Kaaikop. L’intérêt particulier de ce site réside dans le fait qu’il est situé au sein d’une nature qui n’a connu que très peu d’interventions humaines. C’est aussi un maillon crucial du corridor faunique s’étendant du Mont-Tremblant jusqu’à la réserve mohawk de Tioweroton, réserve d’une superficie de 100 km2, située aussi à Sainte-Lucie-des-Laurentides.

Naissance d’une coalition élargie

Plusieurs coupes forestières ont eu lieu, dans le passé, aux alentours du mont Kaaikop, coupes parfois désolantes pour les écosystèmes. La montagne est présentement menacée par un nouveau plan de coupes forestières qui affecte directement le sommet et les flancs de la montagne et altérerait irrémédiablement son caractère naturel.

En réaction à ce projet, à l’été 2013, une coalition s’est formée et a réuni des citoyen·ne·s engagé·e·s. La Coalition pour la préservation du Mont-Kaaikop s’est ensuite unie à la base de plein air L’Interval, à des associations de protection de l’environnement, à la municipalité de Sainte-Lucie-des-Laurentides et à la communauté mohawk. Elle a reçu beaucoup d’appuis de municipalités environnantes, d’organismes locaux de protection de l’environnement, de la Fondation David Suzuki, de la SNAP Québec, de Greenpeace et des autres communautés mohawks. Plus de 8000 personnes ont signé une pétition qui soutient ses objectifs.

La coalition n’est pas contre les coupes forestières. Elle est toutefois d’avis que toute coupe forestière devrait être appuyée par des études sérieuses et acceptée par une population informée et par les groupes autochtones touchés. De telles coupes devraient se faire dans le respect de la capacité de soutien des écosystèmes, en assurant la préservation de la biodiversité. Et ce n’était pas le cas pour le mont Kaaikop !

Écosystèmes uniques et en danger

La coalition a fait réaliser à ses frais des relevés de caractérisation du mont Kaaikop par une entreprise indépendante et reconnue dans ce domaine. Elle s’est ainsi substituée au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) qui n’a pas effectué les études indispensables à un tel site à préserver.

L’expertise démontre la justesse des prétentions de la coalition, à savoir que le mont Kaaikop possède des « écosystèmes forestiers exceptionnels et/ou en stades initiaux ». Ces forêts sont de plus en plus rares au Québec et elles doivent être protégées. Elles sont d’importants foyers de captation de gaz carboniques et sont des maillons très importants pour le foisonnement de la biodiversité.

Sur le plan économique, compte tenu des caractéristiques du mont Kaaikop – versants fragiles, milieux humides, plantes envahissantes, forêts mûres et surannées, etc. –, cette étude souligne le danger lié à la destruction d’un tel site et soulève des questions sur la rentabilité des coupes envisagées.

Des victoires

La mobilisation pour la préservation du mont Kaaikop a permis de nombreux gains telle la sensibilisation de la population locale, des élus municipaux et de finissant·e·s du programme de génie forestier de l’Université Laval aux enjeux environnementaux et sociaux de la foresterie, mais aussi à la planification de l’utilisation de nos ressources forestières. Rapprocher la population locale et la communauté mohawk et sensibiliser le milieu politique à l’importance de consulter les Premières Nations lorsque des projets les affectent comptent aussi parmi les avancées prometteuses.

L’une des réussites plus marquantes concerne l’arrêt du projet de coupes forestières par l’obtention d’une injonction interlocutoire rendue en 2014 par la Cour supérieure du Québec. La juge Roy y soulignait la qualité de notre preuve, notamment notre mémoire. C’est la première fois au Canada que des non-Autochtones obtiennent ce résultat. Notre projet encourage, en outre, la prise de conscience en matière de gestion forestière au Québec. Nous démontrons également qu’en se regroupant et en se mobilisant, il est possible de faire évoluer positivement l’application des lois et règlements. Cela peut influencer d’autres communautés aux prises avec de tels dossiers [1].

Poursuivre la lutte

La coalition mise sur une vision à long terme, axée sur la protection et la possession de territoires interconnectés, foisonnant de biodiversité. Nous vivons incontestablement une période de changements climatiques qui n’iront qu’en s’accentuant. Il faut donc repenser les modèles actuels de développement, basés principalement sur les gains monétaires à court terme.

Forcer les décideurs·euses à augmenter les surfaces d’aires protégées est un des objectifs de la coalition. Dans la région des Laurentides, seuls 9% des 22517 km2 de sa superficie sont protégés, alors que l’objectif provincial est aussi peu élevé que 12%. Du rattrapage est à faire et le mont Kaaikop est une belle occasion qui se présente sur les terres publiques ! La coalition vise l’obtention d’un statut d’aire protégée de catégorie III qui est l’avenue légale qui permettrait à la fois de garantir la protection permanente du site tout en y maintenant l’accès pour des activités récréatives non intrusives et respectueuses de la nature du mont. Cette catégorie de protection permet de préserver des éléments naturels et culturels particuliers, d’importance exceptionnelle ou unique, méritant d’être protégés du fait de leur rareté, de leur représentativité, de leur qualité esthétique ou de leur importance culturelle. Le mont Kaaikop rencontre tous ces critères, avec un milieu naturel presque intact, des écosystèmes exceptionnels, de très vieilles forêts poussant en altitude, sur des pentes raides et dont le réseau des eaux souterraines et de surface ne provient pas de cours d’eau, mais bien de cinq lacs de tête qui recueillent les précipitations pour les acheminer ultimement dans le fleuve Saint-Laurent.

La coalition participe également au démarrage d’un projet collectif de développement d’activités durables pour le mont Kaaikop. Une réflexion du milieu est en cours en vue de mettre en valeur son site naturel en implantant, par l’entremise d’une organisation sans but lucratif, des activités durables respectant les écosystèmes. Cela dynamiserait et mobiliserait la population locale autour d’un projet collectif générateur de fierté et créateur de retombées économiques. Il faut impérativement avoir une vision à long terme pour ce type de développement durable, en gardant en tête que le point de départ de celle-ci est d’abord la protection.

Face à des écosystèmes singuliers de hautes valeurs de conservation et de développement durable, la population doit se poser les questions suivantes : voulons-nous des emplois et de la richesse à très court terme ? Ou voulons-nous plutôt axer notre développement dans le respect de la capacité et du maintien des écosystèmes en nous préoccupant impérativement des générations qui nous suivront ? Dans un tel cas, ce sont des retombées économiques régionales à long terme qui en découleront ainsi qu’un fort sentiment de fierté collective.

Le mont Kaaikop n’est pas encore sauvé, car l’arrêt des coupes forestières obtenu en 2014 n’est que temporaire. Cependant, la coalition poursuit avec détermination ses actions en vue d’obtenir une protection permanente de ce site singulier. Appel à la solidarité !


[1Le projet de la Coalition a remporté le concours Opération charme de la Fondation David Suzuki et a reçu, dans le cadre de la tournée Bleu Terre, la visite de monsieur Suzuki en octobre 2014.

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