Anne-Marie Beaudoin-Bégin
La langue rapaillée
Anne-Marie Beaudoin-Bégin, La langue rapaillée, Montréal, Somme toute, 2015, 120 pages.
« Combattre l’insécurité linguistique des Québécois », c’est le défi que s’est donné la linguiste québécoise Anne-Marie Beaudoin-Bégin en publiant La langue rapaillée. Dans un style vif et très entraînant, la spécialiste en sociolinguistique historique du français québécois explique avec une surprenante limpidité, mais toujours avec rigueur, des concepts clés utiles pour saisir les subtilités de notre réalité linguistique.
En peu de pages, Beaudoin-Bégin trace le portrait de la langue de Tremblay tantôt en la comparant aux variantes du français parlées ailleurs, tantôt en en dressant la généalogie en sol canadien (on a même le temps de saluer au passage Louis XIV qui, bien de son époque, n’accordait que très peu d’intérêt à sa façon d’écrire le français), tantôt en nous régalant de menus exemples qui font sourire (le mot « guidoune » a intégré Le Petit Robert depuis 2008), qui réconfortent (« Ma foi d’gueux », écrivait Thériault) ou qui laissent dubitatifs (la norme hexagonale dénonce comme anglicisme le mot « tuxedo » au profit du mot « smoking »).
L’autrice insiste particulièrement sur les différences entre les registres familier et soigné de la langue parlée ici et elle fait comprendre qu’une langue, tant du côté de ses normes régissant sa forme écrite que du côté de son évolution orale, est d’abord et avant tout un fait social. Selon la professeure à l’Université Laval, s’il existe des prescriptions (des règles normatives) présidant à son existence écrite, une vision plus descriptive de la linguistique nous rappelle que ce sont ceux et celles qui parlent une langue qui la créent, la font évoluer et la gardent vivante.
Contrairement à l’anglais, qui lui a ravi le titre, au cours du dernier siècle, de lingua franca, la langue française est l’une des plus normées au monde et le concept même de français international, qui serait commun à tous les francophones, est « une belle fable ». Il est temps, et c’est l’une des plus rassembleuses propositions de Beaudoin-Bégin, de considérer qu’il existe bien plusieurs français et non un seul que l’on doit à tout prix émuler et dont le français parlé au Québec ne serait que le bâtard honteux. Selon l’autrice, si on veut que la langue française, de tous horizons géographiques et culturels, demeure la « langue de prestige et d’esthétisme » qu’elle n’a cessé d’être, il faut « permettre à ses locuteurs un autre espace, plus pratique et plus convivial » puisque, comme le rappelle Emil Cioran que l’on cite dans la postface, « [o]n n’habite pas un pays, on habite une langue [ ; u]ne patrie, c’est cela et rien d’autre ».