Dossier : Abitibi. Territoire des possibles
« Qu’est-ce qui vous amène en Abitibi-Témiscamingue ? »
C’est la question qu’on se fait le plus souvent poser quand on fait partie des vagues récentes de l’immigration. Et bien que l’on se considère, après quelques années, comme faisant partie de la communauté d’accueil, on se fait encore poser cette même question.
N’ayant pas vécu à Montréal, Rouyn-Noranda était pour moi une ville québécoise comme une autre. Je me suis attachée à plusieurs autres villes plus ou moins grandes en Europe où j’ai vécu quelques années. Je suis encore attachée à ma ville natale Mostaganem, en Algérie, mais Rouyn-Noranda est maintenant ma ville et l’Abitibi-Témiscamingue, ma région. C’est parfois frustrant d’être souvent considérée comme quelqu’un qui vient d’arriver, qui pourrait partir à tout moment ou encore qui est destiné à partir ultimement. C’est également frustrant de constater que sa région n’est pas valorisée autant qu’elle le mériterait.
La particularité de l’immigration en région est qu’elle ne passe pas inaperçue. La diversité récente de la population est visible, comme elle l’avait été au début du 20e siècle. Elle amène donc son lot de défis, qui sont essentiellement liés aux changements sociaux, à l’émergence d’une mixité de cultures et à une jeunesse plus ouverte à la diversité et à l’évolution de la culture commune.
L’avantage de l’ouverture à l’autre, c’est justement de rencontrer l’ouverture de l’autre. Je me souviens encore de l’accueil chaleureux de Jackie, intervenante à l’époque à la Maison de la famille de Rouyn-Noranda. J’y étais allée pour rencontrer de nouvelles personnes ; j’y suis devenue bénévole puis membre du conseil d’administration. La mission de l’organisme et ses valeurs m’avaient interpellée : offrir des services à toutes les familles, briser l’isolement, offrir du répit aux parents. L’ouverture, le respect, l’accessibilité, l’entraide, l’authenticité et le plaisir ; quoi de mieux pour intégrer les personnes marginalisées ou nouvellement arrivées dans la région ?
Les familles qui s’installent en Abitibi-Témiscamingue, qu’elles soient issues du Québec, du Canada ou de l’étranger, vivent potentiellement les mêmes défis : l’éloignement et l’hiver, tous deux facteurs d’isolement. Sans réseau, les nouvelles familles pourraient très vite se retrouver dans une forme de détresse. L’hiver intense et interminable n’arrange pas les choses. C’est ainsi que la Mosaïque, association interculturelle d’accueil des immigrant·e·s, œuvre pour accompagner et outiller les nouvelles familles, étudiant·e·s et travailleurs·euses. Ses activités sont autant consacrées à l’accueil qu’au réseautage dans et avec la société d’accueil.
Les missions des deux organismes communautaires sont au cœur des besoins de la communauté. Si leurs ressources sont limitées, le dévouement, l’engagement et l’investissement de leurs employé·e·s et bénévoles n’a pas de limites. Des gestes considérés comme petits par celles et ceux qui les accomplissent font la différence dans la vie de femmes, d’hommes, jeunes et moins jeunes.
En Abitibi, on retrouve aussi plusieurs personnes qui ignorent à quel point leur sourire, leur « bonjour » peuvent embellir les journées d’une personne nouvellement arrivée. Quand Michel, mon voisin, déneigeait l’entrée de mon stationnement après une tempête de neige ; pour lui, c’était normal – il m’avait observée la veille me débattant avec mes pelles pour sortir la voiture et emmener mes filles à l’école. Pour moi, c’était une chaleur humaine qui rendait l’hiver moins dur. Quand Lynn, la grand-mère de l’amie de l’une de mes filles, tricotait des bas en laine pour mes filles en même temps que celles pour ses petites-filles ; pour elle, c’était juste deux paires de plus, pour mes filles et moi-même c’était nous inclure dans sa famille. Quand feu Micheline, ma voisine, guettait de sa fenêtre l’autobus de 11 h 45 le 26 mars de chaque année et qu’elle faisait signe à ma petite fille pour qu’elle aille la rejoindre et recevoir son cadeau de fête ; pour elle, c’était juste une carte et un objet de sa maison. Pour ma fille et pour moi-même, c’était la douceur retrouvée d’une grand-mère qui nous manque terriblement.
Des attentions comme celles-là et beaucoup d’autres n’expliquent pas ce qui m’a amenée en Abitibi-Témiscamingue. Elles expliquent mieux pourquoi j’y suis encore.