L’école québécoise est-elle capable de former des esprits libres ?

No 080 - été 2019

Projet de loi 21 sur la laïcité

L’école québécoise est-elle capable de former des esprits libres ?

Houria Hamzaoui

L’école québécoise fait face à plusieurs défis. Plusieurs commissions scolaires vivent une crise majeure en raison du manque d’enseignant·e·s et de ressources spécialisées. Cela a un impact direct sur la qualité de la formation de nos enfants. Or, au moment où des solutions urgentes sont requises, le dépôt du projet de loi sur la laïcité a orienté le débat vers les signes religieux du personnel enseignant, laissant de côté des problèmes beaucoup plus urgents.

Le gouvernement dit vouloir protéger nos enfants. Mais de quoi prétend-il devoir les protéger ? « La petite fille, son modèle c’est son enseignante », affirmait le premier ministre lors d’une entrevue en décembre dernier. Une enseignante compétente qui a su engager ses élèves dans leurs apprentissages pourrait influencer la petite fille de sept ans au point de vouloir plus tard embrasser sa religion ou arborer un signe religieux. Dans cette logique, la simple exposition à un signe religieux porté par une enseignante, parce qu’il s’agit bien des enseignantes, au sein de l’école suffirait à lui seul à altérer la liberté de conscience des petites filles. Le gouvernement est-il en train d’accuser notre système éducatif d’être fragile au point qu’une poignée d’enseignant·e·s ostentatoirement croyant·e·s en briserait les fondements ? Des enseignant·e·s formé·e·s dans les universités québécoises de surcroît ?

Le projet de loi 21 vient semer la confusion dans les milieux éducatifs où beaucoup de chemin a été fait dans le sens de l’inclusion et de la prise en compte des changements de la société, liés à la diversification de l’immigration, à la réappropriation des savoirs et cultures autochtones et à la mondialisation. La formation en enseignement tend de plus en plus à intégrer les compétences ethnoculturelles, religieuses et linguistiques dans ses pratiques.

On se demande si le gouvernement de la CAQ est conscient des enjeux liés à l’éducation en ce début du 21e siècle, dans un monde où des tensions de toutes sortes menacent le vivre ensemble. On se demande également si ce gouvernement est au fait des objectifs du programme de formation de l’École québécoise, ce programme que le premier ministre lui-même avait présenté aux Québécoises et aux Québécois il y a presque vingt ans. Le programme de l’éducation préscolaire de l’enseignement primaire stipule que « vers la fin du primaire, l’élève saisit les liens entre ses réactions, ses valeurs, ses perceptions, ses sentiments et ses réflexions. Il peut déterminer les motifs qui guident ses pensées, ses comportements, ses actions ou son discours. Il endosse certains modèles ou s’en dissocie en justifiant son choix en fonction de ses valeurs ». Le rôle de l’enseignant·e tel que conçu par le référentiel des compétences de la formation à l’enseignement rendu disponible par monsieur François Legault lui-même en 2001, est celui de passeur culturel ; il/elle « est vu[e] comme celui [celle] qui aide les élèves à construire du sens par l’établissement de nouveaux rapports à eux-mêmes, au monde, à autrui » [1]. Alors, le gouvernement est-il en train de remettre en question la capacité de l’école québécoise à former des esprits libres et critiques ?


[1La formation à l’enseignement : Les orientations, les compétences professionnelles, ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2001.

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