Pour une école laïque. La confession n’a pas sa place à l’école

No 011 - oct. / nov. 2005

Chronique éducation

Pour une école laïque. La confession n’a pas sa place à l’école

par Normand Baillargeon

Normand Baillargeon

Cet été, le gouvernement a décidé qu’il mettra fin, le 1er juillet 2008, à la clause dérogatoire à la Charte canadienne des droits et libertés qui permet un enseignement religieux confessionnel (catholique ou protestant) à l’école publique québécoise. Pour le moment, tout indique qu’on proposera plutôt, dans nos écoles publiques, un enseignement culturel de la religion. De son côté, la Commission des droits de la personne (CDP) a rendu un avis très attendu qui soutient que les écoles privées du Québec sont tenues à l’obligation d’accommodement raisonnable et doivent donc accepter les élèves qui portent le hidjab – ou tout autre vêtement religieux.

Ces deux décisions ont soulevé de virulents débats et pointent vers la question que je veux aborder : celle de la place de la religion à l’école. C’est une question difficile. Rappelons pourquoi.

Il s’agit de définir une politique publique qui réponde équitablement, dans le respect des droits et des attentes légitimes de personnes (les enfants, les parents), de groupes et de l’État, à diverses revendications formulées dans un domaine qui soulève énormément de passions (la religion) ; cette politique devra s’appliquer à une pratique complexe (éduquer), laquelle est menée dans nos sociétés au sein d’une institution (l’école) déjà hautement sollicitée pour accomplir un grand nombre d’autres tâches (socialiser, qualifier, moraliser, etc.) parfois difficilement conciliables avec l’éducation.

Le Québec, hélas, n’a pas sur cette question de position claire et cohérente. Ce qui a de bien étranges conséquences, ainsi qu’on a pu le constater avec le jugement de la CDP.

Celui-ci a en effet pour conséquence d’obliger les écoles confessionnelles privées ouvertes à des enfants d’autres religions à un accommodement raisonnable dont sont toutefois dispensées les écoles confessionnelles privées (et donc subventionnées) qui n’accueillent que des enfants de leur confession religieuse. Cette situation, qu’on a envie de décrire comme une sorte de prime à l’intégrisme, est, proprement, délirante.

Pour sortir de cette absurdité, le bon sens exige que l’on cesse de subventionner les écoles confessionnelles, laissant aux parents qui le désirent le plein droit d’ouvrir, à leurs frais, des écoles de leur confession religieuse. Cette voie est celle de la laïcité : c’est celle qui respecte au mieux les droits et les intérêts légitimes de tous, tout en évitant le prosélytisme ou l’endoctrinement.

Posons que la confessionnalité du système scolaire et l’enseignement religieux confessionnel ne sont plus des options envisageables pour le Québec. La laïcité a pour principal concurrent ce que l’on pourrait appeler le non-confessionnalisme.

Ce point de vue se décline diversement, selon que l’on pense que l’école doit dispenser un enseignement culturel de la religion ou plutôt enseigner à la religion. Le Québec semble opter pour la première option, et vouloir proposer un cours d’Éthique et de culture religieuse. Du point de vue de la laïcité que je défends, c’est là un mauvais choix.

D’abord parce qu’on y lie dangereusement et sans raison éthique et religion ; ensuite, parce que cette position rend difficile, voire impossible, de refuser de satisfaire des demandes de reconnaissance et d’inclusion dans le curriculum émanant soit de traditions spirituelles diverses (et où arrêterait-on ?), soit de religions légalement reconnues mais qu’on ne voudrait pas enseigner à l’école (les raéliens et les scientologues, notamment) ; enfin, parce que ce cours risque fort, et très injustement, d’occulter certaines conceptions par ailleurs tout à faits légitimes du fait religieux – par exemple celles de l’athéisme, du rationalisme et de l’humanisme laïc.

Confrontés à cet argumentaire, les partisans du non-confessionalisme répondent en général deux choses. La première est que nos politiques multiculturelles demandent le respect et la reconnaissance de la religion comme fait central de la formation des identités et le développement de la tolérance ; la deuxième est que la religion est un phénomène culturel d’une telle importance qu’on ne saurait admettre que des jeunes puissent l’ignorer.

Je pense pourtant que le respect des identités et la tolérance sont au mieux servis par une culture commune laïque et j’affirme, avec Condorcet dont le message n’a jamais été aussi actuel, que dans nos sociétés pluralistes, les institutions publiques donnent aux croyances religieuses ou spirituelles tout le respect qu’elles peuvent leur accorder en n’en reconnaissant aucune et en les renvoyant à la sphère privée.

Pour ce qui est de l’ignorance du fait culturel religieux – qu’on constaterait après des années de scolarisation –, je conviens qu’elle est le signe d’un grave problème… dans l’enseignement de l’histoire, de la géographie, de la littérature et de la philosophie, qui sont les principaux lieux où ce savoir peut et doit être appris.

Reste entière, bien entendu, la question de l’enseignement moral et de ce que peut et doit faire l’école sur ce plan. Je ne peux l’aborder ici, mais laissez-moi vous faire un aveu, – même si je ne pourrai pas le justifier correctement.

Je pense que la philosophie de l’éducation et les recherches empiriques crédibles invitent à la plus grande suspicion quant à ce que peuvent apporter tous ces cours prenant pour objet des « problématiques » et qui proposent d’éduquer à la morale, aux loisirs, à la consommation, à la citoyenneté, à l’environnement, à la sexualité et tutti quanti. Non seulement le risque d’endoctrinement est-il à chaque fois énorme, mais, en plus, coupé de l’assise d’un savoir transmissible (quand ce n’est pas de celle d’un savoir tout court…), non seulement ne se passe-t-il pas dans ces cours grand-chose d’éducatif, mais ils n’ont guère d’impact significatif sur les habitudes et les comportements. Leur impact, en fait, est inversement proportionnel aux grandiloquentes prétentions de leurs promoteurs.

Offrez un enseignement solide des disciplines fondamentales, permettant de faire le tour et de comprendre les diverses formes humaines du savoir et vous aurez, pour l’essentiel, accompli tout ce que l’école peut faire, en matière d’éducation, pour aider les jeunes gens à devenir autonomes et critiques et, partant, à faire leurs propres choix comme citoyennes et comme personnes morales.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème