Transports, écologie et changement social
Rien ne sert de courir...
par Antoine Casgrain
Observer notre société à travers le prisme des transports, comme nous l’avons fait dans ce dossier, nous fait prendre conscience (une fois de plus) des inconséquences du développement. Le gaspillage des ressources qui est relié au transport ne peut être supporté par notre planète. Mais plus encore, la manière dont nous avons organisé la vie sociale dépend beaucoup de nos réseaux de transports, les infrastructures de transport comptant pour près de 50 % de l’espace urbain. Questionner nos modes de transport, c’est remettre en question notre société productiviste.
Pourquoi se déplace-t-on ? Paradoxalement, plus les transports sont efficaces, plus on consacre du temps dans les transports ! Jamais dans l’histoire l’humain n’a dépensé autant de temps pour se déplacer ou déplacer sa production. D’un côté, les déplacements rapides favorisent le développement des relations entre des gens éloignés et permettent à une (petite) partie de la population de découvrir le monde. De l’autre, le temps passé dans les bouchons de circulation, les ressources gaspillées, la construction de milliers de routes, les accidents, les problèmes de santé, le smog deviennent des éléments nuisibles. L’urbanité développée autour de l’automobile a enchaîné des millions de travailleurs dans la logique « Acheter un char, pour travailler, pour faire de l’argent, pour acheter un char ». Comme l’illustre Ivan Illich, le système capitaliste et sa bureaucratie sont incapables de résoudre à la racine le problème du transport. Pour régler la congestion, on construit de nouvelles routes, qui encouragent plus de voitures !
Que transporte-t-on ? La mondialisation nous offre le rêve d’un marché global dans lequel les pantalons faits en Chine et le café colombien abondent sur nos rayons. Quel est l’impact sur l’environnement de cette multiplication des échanges mondiaux ? Est-ce qu’importer des légumes, même biologiques, de la Californie en vaut le coût ? Échanger des marchandises d’un continent à l’autre apparaît résoudre les besoins de croissance du capital pour les dictatures multinationales, mais cela ne remplit toujours pas les promesses d’une vie meilleure dans les pays du Sud.
Comment se transporte-t-on ? Les modes de transport les plus économiques et les plus rationnels ne sont pas nécessairement utilisés. Peut-on appeler « développement économique » un camionnage excessif qui cause réchauffement climatique, accidents et conditions de travail pénibles. Il faut repenser le développement économique pour limiter les dégâts écologiques liés au transport. Des solutions existent : le rail transporte déjà 60 % des marchandises sur voie terrestre, mais n’émet que 15 % des émissions de GES, le reste étant produit par le transport routier. Des voies historiques de transport régional, comme le cabotage sur le Saint-Laurent, efficaces au niveau énergétique, sont négligées par manque d’investissement et par l’esprit du « business as usual ».
Qui peut bouger ? Les routes gratuites pour les uns, l’autobus payant pour les autres. Alors que les compagnies financent les déplacements automobiles de leurs cadres, les pauvres sont obligés de consacrer une part de plus en plus importante de leur revenu dans le transport en commun. Les réseaux de transport urbain servent la discrimination sociale. Ils isolent des parties marginalisées de la population dans des ghettos mal desservis par un transport en commun dispendieux. Une mobilité urbaine réduite favorise le maintien des classes populaires en chômage ou dans de mauvais emplois.
Où va-t-on ? Les autoroutes déversent des flots de marchandises humaines chaque jour pour faire rouler la machine économique. Les réseaux de transports publics sont orientés afin de concentrer la population dans un va-et-vient entre résidence et travail. Le système capitaliste a socialisé à l’extrême la production, mais maintient une domination privée sur son appropriation. Le contrôle des populations, dont le transport est un outil, empêche que des espaces démocratiques se développent. Dans ce système pourtant, même les marginalisés créent un langage et un affect qui créent une valeur (ne serait-ce que pour être récupérée par la mode). Les déplacements font partie de la production et de l’appropriation de la richesse sociale. La réappropriation collective des transports est donc légitime en termes de justice, mais également inspirante en termes d’émancipation.
Nous le voyons, écologie et social s’entremêlent, se fécondent l’un l’autre. Une démocratie participative, à la proximité d’un vélo, articulée autour d’un transport public et contrôlé par le peuple, va de pair avec des nouvelles pratiques écologiques.