Dossier : Résilience écologique.

Dossier : Résilience écologique. Résistance ou résignation ?

Collectivités territoriales. Champ de lutte pour un avenir viable

Carole Dupuis

Les gouvernements du monde échouent au test de la responsabilité climatique et écologique. Impuissants à faire sauter les verrous d’un système qui menace la vie sur terre, ou peu enclins à le faire, ils continuent contre tout bon sens à professer l’idéologie de la croissance en prêchant un soi-disant équilibre entre des choix économiques mortifères et des écosystèmes à l’agonie.

Devant ce constat terrifiant, de simples citoyen·ne·s décident d’incarner le changement qui s’impose. Sachant que la seule manière de préserver l’avenir du vivant est d’éliminer la surexploitation des ressources, ils et elles décrochent du système, à des degrés divers, en choisissant des modes de vie qui ne dépendent plus de pratiques éthiquement injustifiables. On les rencontre dans les cours de cuisine végétarienne ou d’écoconstruction, sur les trottoirs et les pistes cyclables, dans les bazars et les jardins.

D’autres lancent des projets collectifs écoresponsables. Multiformes et inspirantes, leurs initiatives incluent par exemple le partage d’outils ou de véhicules, les « fermes de famille », les commerces zéro déchet, des projets de symbiose industrielle, etc. Elles ont en commun de vouloir remplacer une économie mondialisée au service du capital par une économie de proximité au service du vivant. Quand elles ne sont pas bénévoles, elles relèvent fréquemment de l’économie sociale. Leur foisonnement a semé un vent d’optimisme quand il a été mis en lumière dans des ouvrages comme le film Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent, ou l’essai Demain, le Québec de la Fondation David Suzuki.

Loin d’être négligeables, ces nouvelles approches ont une influence palpable. On pourrait même parler d’ébullition dans certains quartiers et villages. Longtemps marginalisées, elles ont maintenant la faveur d’un vaste public conscientisé aux excès flagrants comme le gaspillage alimentaire, l’obsolescence programmée ou l’usage abusif de pesticides.

Ces initiatives font briller une lueur d’espoir. Elles rendent visible l’existence de manières différentes d’aborder la relation des humains avec les ressources et entre eux. Elles rendent imaginable un monde où ces modèles deviendraient la norme et non plus l’exception.

À elle seule, cette vague est-elle assez puissante pour amener les transformations nécessaires en temps opportun ? Est-elle assez profonde pour assurer une prise en compte des enjeux de justice sociale et de démocratie participative dont leur succès dépend ? Probablement pas, si on en croit les statistiques dont nous sommes abreuvé·e·s chaque jour. Un changement d’échelle s’impose.

L’échelle territoriale

Plusieurs estiment qu’en se fédérant, en se donnant des visées émancipatrices et en construisant les capacités de leur propre transformation, les collectivités territoriales sauront éroder les blocages systémiques qui freinent présentement toute action climatique et écologique significative. C’est le pari que fait le Front commun pour la transition énergétique (FCTÉ) avec son projet « Collectivités ZéN » (zéro émission nette).

Une collectivité correspond à un territoire dont les contours sont délimités par les gens qui la forment. Selon la définition assemblée par l’environnementaliste Olivier Riffon [1], « “Le territoire ne réfère à aucun échelon particulier”, sinon qu’il s’agit d’un espace situé à proximité du citoyen et mobilisable par les acteurs socioéconomiques du milieu. C’est un espace ouvert et mouvant, “emboîté dans un ensemble d’autres espaces qu’il influence et qui l’influencent réciproquement”. Ses limites ne sont pas définies en référence à un périmètre politique ou administratif ni comme un fragment d’un système productif ou économique national, mais “elles définissent le lieu d’intersection de réseaux (physiques ou humains, formels ou informels), de stratégies et d’interdépendances entre partenaires reliés entre eux, le lieu de production, de négociation, de partage d’un devenir commun” ».

Cette définition laisse entrevoir la richesse des possibilités offertes à une collectivité territoriale qui entreprend une démarche structurée de transition juste vers la carboneutralité. En effet, sans être exempte d’énormes défis, une approche territoriale brise les silos sectoriels et permet d’adopter la perspective globale nécessaire aux changements structuraux qui sont requis. Elle se prête à un exercice approfondi de dialogue social autour de la transformation d’un espace dont les caractéristiques physiques, les normes sociales, les infrastructures, les relations de pouvoir, la structure économique et le tissu social sont connus et compris par la population qui y vit.

Le projet Collectivités ZéN

Le projet Collectivités ZéN du FCTÉ mise sur le fait que l’échelle des collectivités est un terreau propice à l’exercice de la démocratie participative et permet l’appropriation d’immenses champs d’action dans des domaines clés tels que l’agriculture et l’alimentation, la préservation des écosystèmes, la solidarité sociale, les pratiques d’aménagement et de mobilité, le bâtiment, l’économie de la sobriété ou l’évitement des déchets. Il repose sur l’existence, dans toutes les collectivités du Québec, d’une masse critique d’acteur·trice·s clés aptes à se coaliser pour piloter un chantier de transition, et sur leur volonté de croiser leurs savoirs entre eux et avec les autres collectivités pour avancer mieux et plus vite. Il table sur l’engagement des nombreux chercheur·euse·s et acteur.trice·s nationaux·ales de la transition et du développement des communautés qui souhaitent mutualiser leurs ressources pour épauler les chantiers territoriaux, selon un modèle d’engagement distribué.

Cette vision a été mise à l’épreuve de la réalité l’été dernier, lorsque le FCTÉ a sollicité des appuis pour son projet Collectivités ZéN. Les réponses à son appel ont dépassé toutes les attentes, tant de la part d’acteur·trice·s locaux·ales intéressé·e·s à porter un chantier de transition que de celle des organisations nationales et de la communauté scientifique. L’afflux d’engagements reçus en quelques semaines laisse peu de doute quant à la volonté de nombreux acteur·trice·s, au sein et à l’extérieur du mouvement environnemental, de se rallier autour d’un projet ambitieux de transition vers la carboneutralité, ancré dans la transformation des collectivités territoriales.

L’action territoriale pourra-t-elle déclencher une transformation systémique qui sonnera le glas du système suicidaire dans lequel l’humanité semble enfermée ? Cela pourrait dépendre des moyens que les mouvements progressistes mettront à la disposition de cette stratégie. Sachant que le salut ne viendra pas de gouvernements captifs de l’idéologie de la croissance et que la portée des actions isolées demeure insuffisante, le pari ne semble pas déraisonnable.


[1Représentations du développement durable : analyse des dynamiques d’acteurs et des processus pour la durabilité en milieu municipal au Québec, thèse de doctorat en développement régional, UQAC et UQAR, 2016, 548 p. Les citations dans la citation sont sélectionnées par l’auteur dans diverses publications scientifiques pour composer sa définition globale de la collectivité.

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