Nouveau mode de scrutin
Effets de la pandémie sur le projet de loi 39
Se concentrer sur l’amélioration du système électoral, sans référendum
Si la disparition du coronavirus est le vœu, collectif et individuel, de 2021, il faut aussi se souhaiter une reprise intelligente des travaux qu’il a interrompus. Au niveau politique, des projets politiques conçus avant la pandémie paraîtront déphasés si le nouveau contexte n’est pas pris en compte et si notre mémoire fait défaut. Cette adaptation sera cruciale pour combiner réalisme et acceptabilité sociale.
Le projet de Loi établissant un nouveau mode de scrutin (PL39) est de ceux qui nécessitent cette mise à niveau, mais pour ce faire, il faut commencer par se souvenir de l’analyse qui en a été faite lors de la consultation, tenue il y a un an. C’est ce qui est attendu de la ministre Sonia LeBel, responsable de la réforme électorale, et des membres de la Commission des institutions qui se replongeront bientôt dans ses 225 articles. Leur travail sera long, mais les parlementaires disposent de l’appui nécessaire pour, d’une part, améliorer les mécanismes du système électoral proposé, et d’autre part, rejeter le projet de tenir un référendum.
En effet, près de 70% des mémoires ont réclamé des mécanismes vraiment proportionnels pour distribuer les sièges en fonction des votes obtenus dans chaque région et pour chaque parti (le statu quo n’a été proposé que dans 7% des mémoires). Aussi, 90% des mémoires ont sollicité des règles solides pour diversifier la représentation de l’Assemblée nationale, celle des femmes et des personnes racisées ou nées à l’étranger en particulier, plutôt que de dépendre de la bonne volonté des partis politiques.
Tenir compte de la pandémie c’est ici reconnaître qu’elle a fait voir les avantages de la collaboration entre partis et la nécessité de bénéficier d’expertises variées. L’on devrait donc cesser d’avoir peur d’un gouvernement de coalition et voir ce qu’on gagne lorsque le pouvoir est partagé. Illustration parfaite d’une situation où tous les territoires sont reliés, la pandémie nous a aussi montré l’intérêt de combiner la représentation des circonscriptions à celle de considérations globales. Le Premier ministre Legault a d’ailleurs réaffirmé la pertinence de changer le système.
Le travail serait sur la bonne voie s’il ne restait qu’à rappeler ces consensus. Mais le gouvernement a mis du sable dans l’engrenage en rajoutant 165 articles visant à repousser son application suite à la tenue d’un référendum. Le moment de celui-ci, simultanément aux élections d’octobre 2022, a suscité beaucoup d’opposition, mais ce n’est pas le seul problème.
Rappelons d’abord que le référendum proposé par le gouvernement a été rejeté par 85% des mémoires transmis à la Commission des institutions, que ce soit d’y recourir, le moment choisi ou ses règles spécifiques. En effet, celui-ci ne se déroulerait pas selon la Loi sur la consultation populaire, mais selon des règles inventées pour l’occasion et qui favoriseraient le statu quo, notamment en réduisant l’information nécessaire à un choix éclairé.
Ainsi, le gouvernement tente d’adopter les règles d’un référendum sans projet de loi dédié ni consultation spécifique. Ce procédé était douteux avant la pandémie, mais il devient irresponsable depuis qu’une année de travail a été perdue et que le contexte a changé.
En proposant un référendum, le gouvernement compromet l’adoption du nouveau système électoral. En plus des questions de principe, chaque élément, du déroulement au financement, peut faire dérailler les travaux, en plus de les allonger considérablement. En effet, le gouvernement ayant annoncé que les votes de Québec solidaire et du Parti québécois, ses cosignataires d’une entente en 2018, seraient essentiels à l’adoption du PL39, l’ajout du référendum réduit la possibilité de consensus, d’autant plus que l’entente ne prévoyait pas de référendum.
Il a fallu 12 ans pour aboutir à la Loi sur la consultation populaire. De plus, elle, tout autant que les règles référendaires du PL39, abordent seulement l’opérationnalisation d’un référendum. Elles ne répondent pas aux questions fondamentales sur son usage. Quels sont les sujets pouvant être traités par référendum ? Quelles règles devraient s’appliquer et quelles conditions devraient être en place, indépendamment d’une question en particulier ? Quel recours avons-nous avant le déclenchement d’une période référendaire ? Comment protéger les droits ?
Je vous entends, à raison, dire que ce n’est pas le moment d’ouvrir ce vaste chantier. La pandémie et ses suites préoccuperont la population et les membres de l’Assemblée nationale pour encore longtemps. Mais alors, ce n’est pas davantage le temps d’adopter des règles référendaires, ni de tenir un référendum sur le système électoral.
Ni la conjoncture, ni les 20 mois nous séparant de la campagne électorale de 2022 ne permettent plus d’y tenir un référendum, d’autant plus que sa planification nécessite une adoption du PL39 avant le 1er février 2021, selon le Directeur général des élections. Le Premier ministre aurait avantage à annoncer rapidement qu’il s’adapte en retirant le référendum de son projet de loi.
Une telle décision démontrerait du respect envers la population et les processus démocratiques, incluant face à ses propres engagements. La Commission des institutions pourrait alors se concentrer sur l’amélioration du mode de scrutin, ce qui permettrait son usage à l’élection générale suivant celle de 2022.
Le gouvernement peut actuellement choisir de se présenter aux prochaines élections en plaçant le remplacement du mode de scrutin dans la colonne des réalisations. Sinon, il s’additionnera aux travaux inachevés, et ce ne sera pas la faute de la pandémie.