Capitalisme carcéral

No 086 - décembre 2020

Jackie Wang

Capitalisme carcéral

Samuel Raymond

Jackie Wang, Capitalisme carcéral, Montréal, Éditions de la rue Dorion, 2018, 349 pages.

Jackie Wang est historienne, militante, cinéaste, essayiste et poète. Elle milite notamment pour l’abolition des prisons. Son livre Capitalisme carcéral est un ouvrage ambitieux qui trace les relations entre capitalisme, racisme, dette, technologie et système carcéral aux États-Unis. On y parle de manière large du continuum qui favorise l’incarcération des groupes vulnérables, et particulièrement des personnes racisées. D’ailleurs,

l’ouvrage décrit le passage historique, au cours du XXe siècle, « [...] d’un racisme d’État inscrit dans les lois (ex. : lois Jim Crow) à un racisme capitaliste dans lequel les gens ont une valeur économique et un degré différent de vulnérabilité à la violence de l’État  » (p. 120). On y décortique sous plusieurs angles les deux fondements rattachés à ce système oppressif et raciste : la prédation créancière et la gouvernance parasitique.

En ce qui concerne la prédation financière, on découvre comment plusieurs banques américaines, notamment durant la crise financière de 2008, ciblent par des méthodes frauduleuses les communautés les plus vulnérables. Cela, par exemple, par la manipulation des taux d’intérêt, ou bien par des « prêts du ghetto » destinés aux personnes racisées. En effet, en s’appuyant entre autres sur le travail du sociologue W.E.B. Du Bois, Wang démontre comment à chaque tournant historique, la dette du pays a été racialisée. Elle appelle à une déconstruction morale de l’économie de la dette en s’attaquant à la division entre emprunteur·se·s méritant·e·s et populations vulnérables et racisées, auxquelles on réserve des formes de crédit plus prédatrices (p. 145).

En matière de gouvernance parasitique, son récit révèle comment des municipalités américaines endettées, influencées par l’idéologie de l’austérité, tentent de renflouer leur caisse. Wang cite en exemple les frais d’utilisation imposés par les tribunaux ou encore les services privés de contrôle de probation aux personnes mêmes qui font l’objet de leurs mesures de contrôle.

L’ouvrage s’attarde particulièrement au rôle de la police dans ce contexte. On y dévoile la manière dont des firmes (ex. : Predpol) utilisent les sciences algorithmiques pour vendre aux corps de police l’idée de la possibilité de prédire le futur en matière de crime. Selon Wang, ces technologies créent une image figée de la criminalité, en extrapolant des statistiques qui décrivent mal la réalité. De surcroit, elles donnent l’illusion que la police est une institution neutre. En fait, ces technologies contribuent à créer une « cage invisible » (p. 59) autour des populations racisées discriminées.

L’originalité de l’ouvrage repose sur l’arrimage entre une approche théorique fouillée et un versant plus artistique. L’autrice insère sa créativité par un agencement de poésie et de citations. Elle ouvre aussi une brèche sur sa vie personnelle en discutant du parcours carcéral de son frère : celui-ci ayant été condamné à perpétuité alors qu’il était mineur, son histoire vient supporter le plaidoyer contre un système défaillant.

Définitivement, ce livre contribue à mettre en contexte les revendications multiples de mouvements comme Black Lives Matter. Il constitue une critique ferme de la pensée libérale en abordant de front, par des exemples concrets, les inégalités structurelles, sociales et économiques des États-Unis. À lire, pour recoller les morceaux de la face contemporaine du racisme américain.

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