Robots et intelligence artificielle

No 086 - décembre 2020

Martin Gibert et Revue Relations

Robots et intelligence artificielle

Isabelle Bouchard

Martin Gibert, Faire la morale aux robots. Une introduction à l’éthique des algorithmes, Montréal, Atelier 10, 2020, 95 pages.

et

« L’intelligence artificielle : au service de l’humain ? », Revue Relations, numéro 808, mai-juin 2020, 50 pages.

L’intelligence artificielle est populaire. Elle fait les manchettes des journaux. On la présente souvent comme l’élément à la fine pointe des découvertes techniques et scientifiques. On la commente comme un défi à parfaire, une curiosité technique à démonter. Cependant, elle est rarement traitée comme un sujet qui peut intéresser la gauche, parce qu’elle nous est présentée comme politiquement neutre. Pourtant…

Voilà qu’en même temps sont publiés au Québec deux ouvrages proprement progressistes qui jettent un éclairage humain sur un objet de la science et de la technologie. C’est ce qu’ont de commun la planchette de Martin Gibert, un philosophe et chercheur en éthique à l’université de Montréal et le dossier de la revue Relations, qui œuvre depuis 75 ans à la valorisation d’une société plus juste. Que demander de plus quand la gauche s’intéresse à parfaire la science au nom de ses valeurs !

Vous le voulez comment, votre robot ?

Gibert le dit lui-même, il n’a pas écrit à proprement parler sur les robots, mais plutôt sur la nécessité de proposer des pistes éthiques aux algorithmes. Les sept chapitres de ce petit bouquin constituent un montage bien huilé et précis d’un raisonnement critique sur lequel appuyer nos décisions quant au type idéal de robots pour notre société, tout en nous obligeant à nous réinterroger sur notre propre sens moral.

Ces robots idéaux, les souhaitons-nous à l’image des utilitaristes qui s’intéressent au bonheur du plus grand nombre ou les imaginons-nous sous l’influence de la pensée des déontologistes à la Kant, qui se fondent sur l’égalité des droits fondamentaux ? Ou les préférons-nous plutôt programmés pour imiter les personnes vertueuses qui composent ou ont composé notre civilisation ? Je vous le dis, si j’avais à voter pour la personne que je trouve la plus vertueuse et que ce soit son jugement, mélangé à celui d’autres personnes choisies, qui devait constituer l’algorithme idéal des robots, je voterais pour notre camarade Jean-Marc Piotte, notamment pour sa tempérance, sa justesse, son humanisme, son engagement profond à rendre meilleur notre monde. Et vous, quelles idoles proposeriez-vous pour guider cette approche arétaïque ?

Les programmeuses

Soulignons que l’ouvrage de Gibert propose une quantité incroyable de références à des femmes philosophes, chercheuses et écrivaines de science-fiction. Cela ne rétablira pas l’équilibre des forces en la matière, mais il faut reconnaître que l’exploit est admirable. De la même manière, on ne peut passer sous silence sa décision d’avoir écrit un chapitre entier au féminin, et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit de celui portant sur les programmeurs. De la sorte, Gibert donne l’existence aux femmes et aux personnes racisées souvent exclues des boys clubs qui jasent d’intelligence artificielle entre eux.

Le grand remplacement aura-t-il lieu ?

De son côté, la revue Relations nous offre un dossier étoffé qui traite des aspects humains de la chose. Ainsi, l’empreinte écologique non négligeable de l’IA est analysée par Étienne van Steenberghe. Puis, Maxime Ouellet propose sa lecture du phénomène dans un article titré « L’internet des objets : du fétichisme de la marchandise au fétichisme de la machine ». Laurence Devillers, quant à elle, s’intéresse à la pénétration de l’IA dans le monde de la santé. Jean-Claude Ravet, membre de l’équipe éditoriale de la revue, propose une représentation du devenir machine de l’être humain, auquel il est nécessaire de résister. L’équipe de Relations a aussi demandé à Nadia Seraiocco de traiter des pistes de résistance à l’IA.

L’entrevue centrale est réalisée auprès d’Antonio A. Casilli, dont le plus récent ouvrage, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic est paru en 2019. Finement menée par Emiliano Arpin-Simonetti, l’entrevue présente des réflexions sur l’éventuel grand remplacement du travail humain par des machines, alors même que l’IA carbure essentiellement au digital labor qu’est le travail du clic (ensemble de micro-tâches visant à entraîner des algorithmes). Ce travail est ou bien réalisé bénévolement par nous tou·te·s, à notre insu, ou bien produit par des travailleurs et travailleuses aux conditions de travail indécentes et éhontément surexploités. Une pratique déshumanisante.

Si le dossier préparé par nos camarades de la revue Relations visait à questionner les prétentions de l’IA à servir l’humanité, force est de constater que l’opération est réussie.

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