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Assassin’s creed : Odyssey. Bienvenue en Grèce antique
Création du québécois Patrice Désilet et véritable Goliath de l’industrie du jeu vidéo, la franchise Assassin’s Creed d’Ubisoft a fait naître plus de vingt titres en douze ans et compte sur des budgets qui rivalisent avec ceux des mégaproductions hollywoodiennes.
Par une direction visuelle et musicale impeccable et une remarquable prestation des acteurs qui y prêtent leur voix, Odyssey réussit non seulement à redonner son lustre à une série galvaudée, mais surtout à intéresser une nouvelle génération à l’histoire de la Grèce de Périclès.
Maquette virtuelle d’environ 260 km2 qui s’étend de la Macédoine à la Crète, laquelle comprend entre autres une reproduction d’Athènes, le titre est une époustouflante reconstruction de la Grèce classique. Malgré les inévitables compromis qui lui permettent d’atteindre ses buts ludiques, elle possède dans son ensemble un étonnant souci du détail. On n’y trouve, par exemple, aucun chat (animal peu commun et alors mal-aimé des Grecs), mais des chiens bouviers ; les statues sont peintes de couleurs authentiques ; les anciennes ruines minoennes arborent les colonnes inversées typiques de la civilisation crétoise. On pourra visiter quelques tombeaux mycéniens à l’architecture cyclopéenne et admirer des dizaines d’œuvres d’art dont les reproductions sont pour la plupart fidèles aux originaux.
Le jeu met en scène une foule de personnages. Notons particulièrement l’entrée d’Alcibiade qui reprend presque intégralement un passage du Banquet de Platon. Les diverses conversations avec Socrate qui, fidèle à lui-même, exige que l’on se questionne à propos de nos actions et des concepts qui les guident, les observations historiques d’Hérodote qui voyage auprès de la protagoniste ou le conflit entre le rationalisme d’Hippocrate et la super- stition des dévots du culte d’Asclépios entrent aussi dans la composition du jeu. Les dialogues sont souvent théâtraux, mais cela semble toujours de bonne guerre et même les plus caricaturaux sont instructifs. Protagoras n’a certainement pas été l’hurluberlu que nous présente le jeu, mais c’est bien son relativisme épistémologique qui, poussé à l’extrême, est à l’origine d’une parodie digne d’Aristophane. Ce dernier, situé à quelques pas à peine du sophiste, nous remémore d’ailleurs que si faire pleurer est à la portée du premier venu, faire rire exige en contrepartie un art véritable.
L’expérience est truffée de références historiques, que ce soit la bataille de Thermopyles ou celle de Salamine, la peste de 430 av. J.-C. ou le rapatriement du Trésor de la Ligue de Délos. L’intrigue, tissée d’une tragédie classique qui combine parricide, trahison filiale et machinations politiques, a comme socle l’ascendance que possédait l’Oracle de Delphes sur l’organisation panhellénique tout autant que la division du pouvoir militaire entre Athènes, Sparte et leurs alliés. On évoque tantôt l’importance de la frappe de la monnaie d’argent comme facteur de l’hégémonie de l’Attique, tantôt les différences entre les constitutions et éducations des deux principales cités États. À Athènes, l’évocation de la rivalité entre Périclès et Cléon informe le joueur du rôle que prend trop facilement la démagogie au sein d’une démocratie.
Comme professeur de philosophie, j’ai l’habitude de lire avec mes étudiant·e·s des extraits de l’oraison funèbre de Périclès. J’en profite pour aborder ces tensions politiques internes à la société athénienne afin de les inviter à penser au courage requis pour résister à ceux qui, dans les mots de Platon, savent par la parole flatter la bête humaine dans le sens de son poil. Grâce à cette belle réussite qu’est Assassin’s Creed : Odyssey, beaucoup aborderont avec un intérêt accru ces réflexions plus que jamais nécessaires.