Temps supplémentaire obligatoire. Infirmières à bout

No 079 - avril / mai 2019

Travail

Temps supplémentaire obligatoire. Infirmières à bout

Claude Côté

Depuis quelque temps, différentes organisations syndicales mènent de front une bataille contre le temps supplémentaire obligatoire (TSO). C’est le cas de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui vient de lancer une campagne publicitaire dénonçant cette pratique. La campagne a pour objectif de sensibiliser la population à ce sujet et à rappeler aux politicien·ne·s les promesses qu’ils et elles ont fait concernant cet enjeu.

Depuis l’appel de détresse lancé par l’infirmière Émilie Ricard en février 2018, les professionnelles en soins ne cessent de faire l’actualité en dénonçant l’impensable. Depuis un an en effet, les dénonciations, actions et mobilisations se multiplient de la part des infirmières et infirmières auxiliaires. Il suffit de se rappeler les moments où des infirmières ont dû se résoudre à téléphoner à la police pour quitter leur lieu de travail, étant forcées de rester en raison du TSO ; des milliers d’infirmières et d’infirmières auxiliaires qui doivent faire des quarts de travail de seize heures d’affilée ; ou encore des bénéficiaires de centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) que l’on couche à 16 h par manque de ressources. L’argument du manque de ressources est, pour les dirigeant·e·s des centres intégrés universitaires en santé et services sociaux (CIUSSS) et des centres intégrés en santé et services sociaux (CISSS), une belle manière de se déresponsabiliser et de forcer les infirmières et infirmières auxiliaires à être les seules à s’assurer que des soins de santé sont offerts au Québec.

Il faut comprendre que le TSO s’incarne par l’obligation pour les travailleuses de la santé membres de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) ou de l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec (OIIAQ) de demeurer au travail une fois leur quart de travail terminé. La logique derrière cette obligation étant qu’il est nécessaire d’assurer la continuité des soins auprès de la population en l’absence de relève lors de la fin de leur quart. Pour l’OIIQ et l’OIIAQ, cette mesure doit demeurer exceptionnelle. Cependant, comme nous le voyons régulièrement dans les médias, l’employeur se sert du TSO comme outil de gestion, se déresponsabilisant par le fait même de son rôle de gestionnaire. Le TSO n’est plus une exception et est rapidement devenu la règle. Dernièrement, les dirigeant·e·s du CISSS de Chaudière-Appalaches ont transmis une note de service pour les gestionnaires les informant de la méthode à utiliser pour forcer les professionnelles en soins à demeurer au travail. Comment justifier qu’il s’agit d’exception alors que c’est planifié par l’employeur ?

Un seul mot d’ordre : organiser la désobéissance

En réponse à cette violence organisationnelle, les professionnelles en soins s’organisent, notamment dans les médias sociaux. Sur Facebook, le groupe « Infirmières en mouvement » a pris une ampleur insoupçonnée à la suite de l’appel de détresse de l’infirmière Ricard ; il compte aujourd’hui plus de 32 000 membres. Le groupe vise à « favoriser un mouvement collectif cohérent des travailleurs de la santé à l’échelle du Québec ». On peut y lire des histoires d’horreurs sur le TSO, s’informer de l’actualité politique concernant les infirmières et infirmières auxiliaires et voir des appels à la mobilisation.

Avant l’événement Émilie Ricard, les médias avaient déjà répertorié des sit-in au Centre hospitalier de Trois-Rivières, de Sorel, de Laval et du Suroît, où des professionnelles en soins désobéissaient à l’obligation de faire du TSO. En février 2018, des États généraux en santé se sont tenus à Montréal, où un rassemblement eut lieu au parc Émilie-Gamelin, suivi d’une marche vers l’Usine C où les professionnelles en soins et leurs allié·e·s ont participé à un micro ouvert. Quelques semaines plus tard, une action similaire a été organisée dans la Capitale-Nationale. Les mois suivants, les organisations syndicales se sont concentrées sur la négociation de conventions collectives pour les centres fusionnés à la suite de la réforme Barrette, au cours desquelles des demandes de rehaussement de poste à temps partiel vers des postes à temps étaient revendiquées. Cette demande permettait de stabiliser les équipes de travail, de réduire la précarité et d’assurer une relève lorsque nécessaire. Il est clair pour les organisations syndicales qu’il s’agit d’une solution concrète pour réduire le recours au TSO. Cependant, malgré l’accord sur les rehaussements de poste, les CIUSSS et CISSS peinent à faire le travail de rehaussement et ce sont les professionnelles en soins qui continuent d’en payer le prix.

Vers une radicalisation du mouvement infirmier

En janvier dernier, à l’Hôpital Maison-neuve-Rosemont de Montréal, trois infirmières devaient rester en TSO. En arrivant au travail, leurs collègues du soir ont refusé de travailler en guise de solidarité. Pendant près de quatre heures, une vingtaine d’infirmières ont ainsi refusé de travailler. Finalement, les trois infirmières forcées de rester ont pu quitter après cette action de désobéissance. L’écœurement et la fatigue sont palpables dans le réseau de la santé, remettant réellement en question la qualité des soins. Comment les dirigeant·e·s peuvent-ils promettre à la population que les soins sont sécuritaires quand les personnes qui les prodiguent font des quarts de travail de seize heures consécutives ?

Dans la foulée de cette action spontanée, le Syndicat des professionnelles en soins du Saguenay–Lac-Saint-Jean (FIQ-SPSSLSJ) a décidé de faire subir aux dirigeant·e·s de leur CIUSSS ce que leurs membres subissent au quotidien avec le TSO. Le jour de la Saint-Valentin, une cinquantaine de militantes du syndicat ont donc perturbé les activités du siège social en bloquant les portes et en empêchant les dirigeant·e·s de quitter à la fin de leur journée. Le syndicat, affilié à la FIQ, a déposé 3 162 lettres « d’amour », où la relation entre la travailleuse et l’employeur était sérieusement remise en question. Toutes les portes de sortie ont été bloquées et personne ne pouvait quitter l’établissement. Le mot d’ordre était clair : les dirigeant·e·s du CIUSSS allaient faire du temps supplémentaire obligatoire à leur tour. Il était temps que l’employeur ait conscience au moins une fois ce que c’était que d’avoir à subir ce travail forcé. Les patrons ont finalement quitté l’établissement deux heures plus tard, escortés par la police. Une fois les photos et vidéos partagées sur les médias sociaux, les membres du syndicat ont largement appuyé le syndicat et l’action. Voyant leur supérieur·e·s se faire escorter par la police, plusieurs ont annoncé qu’elles aussi appelleraient dorénavant la police lorsqu’elles seraient contraintes de faire du TSO. Plusieurs voyaient dans cette action le retour de l’ascenseur. L’action fut un succès sur toute la ligne et d’autres actions de ce genre devraient voir le jour au Québec.

Récemment, la FIQ lançait une campagne publicitaire où l’on voit l’impact social du TSO sur les familles québécoises. La publicité, qui a été partagée près de 9 000 fois et visionnée près de 700 000 fois au moment d’écrire ces lignes, montre une infirmière qui se fait demander de rester pour du TSO alors que sa fille l’attend pour fêter son anniversaire. La publicité est efficace et permet de comprendre rapidement l’impact sur l’alternance travail-famille pour les professionnelles du réseau de la santé.

Devant l’absence d’écoute de la part des employeurs et du gouvernement à ce sujet, il nous apparaît clair que les travailleuses continueront d’agir de manière spontanée et qu’elles continueront de désobéir. Faute de proposition concrète de la part des employeurs et du gouvernement, la désobéissance demeure la voie d’action à prendre. Tout a été tenté dans ce dossier. Il faut que les dirigeant·e·s prennent leurs responsabilités et cessent de s’en remettre aux infirmières et aux infirmières auxiliaires.

En conclusion, il nous apparaît clair que les actes de désobéissance comme les sit-in et les occupations sont des démonstrations de force que les professionnelles en soins devraient utiliser davantage. Les infirmières, les infirmières auxiliaires et les inhalothérapeutes sont parmi les métiers les mieux perçus par la population. Elles ont un capital de sympathie très élevé dans le grand public et pour des syndiquées, cela est plutôt rare en ce moment. Il faut miser sur cette sympathie ainsi que continuer les actions de perturbations et de désobéissance. Sans mauvais jeu de mots, il est temps de faire goûter au gouvernement et aux dirigeant·e·s des CIUSSS et CISSS leur propre médecine.

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