L’envers du travail. Le genre de l’émancipation ouvrière

No 079 - avril / mai 2019

Rolande Pinard

L’envers du travail. Le genre de l’émancipation ouvrière

Élisabeth Béfort-Doucet

Rolande Pinard, L’envers du travail. Le genre de l’émancipation ouvrière, Montréal, Lux, 2018, 392 pages.

Rares sont les ouvrages portant exclusivement sur l’implication des femmes dans la construction des mouvements ouvriers qui sont aussi bien recherchés. Rolande Pinard ayant déjà produit une historiographie soutenue sur la transformation des modèles de gestion du travail dans ses précédents ouvrages (La révolution du travail. De l’artisan au ménager, Presses de l’Université de Rennes, 2000), elle comble un vide béant dans la littérature. Parsemé d’anecdotes sur des mobilisations, de citations des parties impliquées et de références bibliographiques soutenues, l’essai soutient que les femmes ont été largement oubliées par les historiennes et les historiens se penchant sur les mobilisations ouvrières, l’auteure citant humblement ses textes antérieurs en tant qu’exemples.

Pinard débute par la première révolution capitaliste, qu’elle décrit comme amenant « le prolétariat féminin ». Concrètement, les femmes jouaient un rôle fondamental au sein des mouvements de droits de travailleuses et de travailleurs dès l’Ancien Régime anglais, malgré le fait qu’elles aient été exclues des instances décisionnelles des syndicats et des regroupements ouvriers. Bien qu’elles fussent interdites de cette « dimension publique du travail  », les ouvrières ont participé activement à la formation de la classe ouvrière et de sa conscience de classe, parfois au détriment des hommes. Pinard soulève d’ailleurs l’hypocrisie des ouvriers impliqués durant la même période : pour faire avancer leur cause, ils cherchaient la solidarité des femmes lors de leurs actions, sans que cette dernière soit assez réciproque pour les inclure dans les délibérations syndicales.

Vient ensuite la seconde révolution capitaliste, concentrée aux États-Unis. L’accession des femmes au marché du travail par des emplois précaires a renforcé la compétitivité de classe et la « dépossession de la force collective de résistance ». Pinard indique que lorsque les hommes s’allieront avec les employeurs pour maintenir leur sécurité d’emploi, les femmes ouvrières en lutte pratiqueront le syndicalisme industriel en allant plutôt chercher l’appui des communautés. Enfin, la syndicalisation des travailleuses a été mise à mal par la bureaucratisation du syndicalisme, le manque de solidarité entre les sexes et l’absence de conscience de classe dans les regroupements de défense de droits.

Pinard conclut avec la globalisation capitaliste, en critiquant ardemment la conciliation travail-famille (comme colonisation de la sphère domestique par le travail) et insiste sur le fait que la maîtrise du temps constitue le véritable enjeu de l’émancipation ouvrière. L’implication des femmes dans les luttes ouvrières est une manifestation de leur pouvoir d’agir – l’auteure prend soin toutefois d’indiquer son angle mort concernant la racialisation des rapports de travail.

L’auteure clôt sa réflexion en réitérant que l’authentique liberté des femmes proviendrait non pas de « la revendication de l’émancipation individuelle par le travail salarié », mais par la « volonté collective d’émancipation du rapport d’exploitation et l’action sociale politique », ce qui constitue une remarque essentielle pour les mobilisations à venir.

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