Dossier : Justice pour toutes !
Chômage et maternité : l’aberration du congé parental
Au Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal, nous croyons que toutes les travailleuses ont droit à la même protection en matière d’assurance-chômage. C’est pourquoi nous avons récemment entrepris un processus de contestation judiciaire afin que les mères aient accès aux prestations régulières d’assurance-chômage si elles se retrouvent sans emploi, conformément au droit à l’égalité protégé par la Charte canadienne des droits et libertés.
Ce combat s’inscrit dans la longue histoire de la discrimination subie par les chômeuses depuis la création du programme d’assurance- chômage canadien en 1940. En 1950, à peine 20% des femmes sont actives sur le marché du travail. Conformément à l’esprit de l’époque, on considère que les femmes mariées ne peuvent se retrouver au chômage ni même être en état de travailler. Suspicieuse face aux épouses qui osent réclamer des prestations d’assurance-chômage dans les deux ans suivant leur mariage, la Commission d’assurance-chômage exige qu’elles remplissent des conditions supplémentaires pour avoir droit à ces prestations. Jusqu’à l’abrogation de cette disposition réglementaire en 1957, entre 12000 et 14000 femmes se sont ainsi vu refuser l’accès à un remplacement de revenu décent [1].
Dans un contexte de changements des mentalités et d’augmentation du salariat féminin, le gouvernement Trudeau modifie en 1971 la Loi sur l’assurance-chômage et crée des prestations spéciales de maternité, améliorant la protection des travailleuses. Entretenant toujours une certaine méfiance face aux chômeuses, la législation leur impose des exigences particulières. Une femme désirant avoir accès au chômage-maternité doit avoir accumulé 20 semaines de travail dans la dernière année, dont 10 durant sa grossesse, comparativement aux 8 semaines exigées aux autres prestataires. Pour couronner le tout, les travailleuses sont inadmissibles au bénéfice des prestations régulières pour la période débutant 8 semaines avant l’accouchement et se terminant 6 semaines après celui-ci, même si elles sont aptes au travail [2].
« Inégalité de nature »
Ces dispositions sexistes sont contestées en 1979 devant la Cour suprême du Canada dans le cadre de l’affaire Bliss. Bien qu’elle ait accumulé suffisamment de semaines de travail pour être admissible à des prestations régulières, l’appelante, Stella Bliss, ne répond pas au critère plus élevé donnant accès au chômage-maternité et plaide la discrimination fondée sur le genre. La Cour lui répond, sous la plume du juge Ritchie, que « toute inégalité entre les sexes dans ce domaine n’est pas le fait de la législation, mais bien de la nature » ! Il faudra attendre 1984 pour que le législateur corrige la situation.
Si la Loi sur l’assurance-emploi, adoptée en 1996, cesse de discriminer directement les chômeuses, force est de constater qu’une mère est aujourd’hui plus souvent qu’autrement exclue du bénéfice des prestations régulières d’assurance-chômage si elle se trouve sans emploi durant ou après son congé parental. Cette situation est vécue autant par les mères québécoises qui touchent des prestations allouées par le Régime québécois d’assurance- parentale (RQAP) que par les mères des autres provinces touchant des prestations de chômage-maternité et de chômage-parental. Étant donné le caractère unique du RQAP, seul régime provincial d’assurance-parentale au Canada, et le fait que les congés parentaux relèvent de l’assurance-chômage dans les autres provinces, les prestations de RQAP sont assimilées à des prestations d’assurance-chômage (art 76.19 de la Loi sur l’assurance-emploi).
Iniquité pour les nouvelles mères
Le problème qui nous intéresse est le suivant : lorsque des prestations spéciales (chômage-maternité, chômage-parental ou RQAP) et régulières d’assurance-chômage sont perçues par une même personne au cours d’une même période de prestations, le nombre de semaines de prestations qu’elle peut toucher ne peut dépasser 50. Ainsi, une personne qui touche le maximum de semaines prévues au RQAP aura atteint la limite des 50 semaines de prestations prévues à l’assurance-chômage et ne pourra dès lors recevoir d’indemnisation si elle se trouve sans emploi à la fin de son congé parental. Si cette règle ne semble pas directement viser les femmes, la réalité est toute autre… En effet, au Québec, les mères prennent en moyenne 45,2 semaines de prestations du RQAP, comparativement à 6,7 semaines en moyenne pour les pères. Ces derniers, advenant qu’ils se retrouvent au chômage, seront donc pleinement admissibles à l’assurance-chômage, loin d’avoir plafonné leur maximum de 50 semaines.
Le refus d’accorder une protection contre le chômage aux nouvelles mères perpétue les iniquités vécues par les femmes sur le marché du travail. Pour celles-ci, l’insécurité économique créée par la perte d’un emploi s’ajoute aux dépenses inhérentes à l’arrivée d’un enfant. Dans ce contexte, l’impossibilité de toucher de l’assurance-chômage pour une travailleuse congédiée en raison du seul fait qu’elle se soit prévalue de son congé parental est une aberration. Aujourd’hui, le salaire féminin est une contribution essentielle au revenu du ménage et non plus un salaire d’appoint. Ne pas accorder l’assurance-chômage à ces femmes résulte d’un préjugé anachronique reléguant l’apport aux revenus familiaux de ces dernières au second rang, derrière celui du « bon père de famille » assumant l’entièreté des dépenses.
La pleine égalité devant la loi est un objectif qui commande à l’État de tout mettre en œuvre pour que ses politiques sociales s’arriment aux réalités du monde du travail. Des réalités qui impliquent plus que jamais la présence massive des femmes sur le marché du travail et les responsabilités familiales qu’elles assument. Des réalités qui ne sont nullement reflétées par le régime actuel d’assurance-chômage. En tant qu’acteur incontournable dans la lutte pour l’égalité hommes-femmes, l’État doit agir. À défaut de quoi, le pouvoir judiciaire pourrait bien avoir à intervenir…
[1] Bureau du Conseil privé, Rapport du Comité d’enquête relatif à la Loi sur l’assurance-chômage, Ottawa, 1962.
[2] Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48, art. 46.