Observatoire des luttes
Le mouvement étudiant. L’heure des bilans
Pour la première fois depuis presque une décennie, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) n’organisera pas de manifestation nationale au cours de l’année scolaire. À l’exception d’un contingent pris en charge par l’organisme Femmes de diverses origines lors de la manifestation annuelle du 8 mars, ce constat est un signe parmi bien d’autres de l’essoufflement de l’aile la plus combative du mouvement étudiant québécois.
L’ASSE n’est toutefois pas la seule organisation étudiante qui peine présentement à mobiliser ses membres. Les fédérations étudiantes – qui représentent l’aile du mouvement étudiant davantage axée sur la concertation et les alliances avec les partis politiques – se relèvent difficilement de la lente dissolution de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) à la suite du printemps 2012. La recherche d’une « troisième voie » combative, entre les fédérations étudiantes et l’ASSE, par l’entremise de la création de l’Association pour la voix étudiante du Québec (AVEQ) en 2015, représente une alternative réelle, mais très fragile à l’heure actuelle. Cet article se concentre toutefois sur le cas spécifique de l’ASSE, qui est l’organisation qui correspond le plus aux valeurs de démocratie directe et de combativité portées par les mouvements sociaux.
Il faut d’abord partir du constat que la gauche du mouvement étudiant québécois ne s’est pas relevée des échecs de l’année 2015. Avec deux tentatives de grève générale illimitée – l’une au printemps et l’autre à l’automne – qui se sont toutes deux soldées par des échecs cette année-là, l’ASSE a perdu plusieurs membres et une bonne part de sa crédibilité dans le débat public au Québec. Nous souhaitons engager ici une réflexion sur l’avenir du syndicalisme étudiant de combat à partir de trois axes principaux, soit la structure, l’éducation populaire et la démocratie. Ces trois axes nous semblent soulever des questions fondamentales pour l’avenir non seulement du mouvement étudiant, mais également pour celui de la gauche québécoise dans son ensemble.
Les structures
Aux origines de la démobilisation actuelle se trouve une perte d’intérêt généralisée envers les structures qui assurent la vitalité et la combativité du mouvement étudiant – en l’occurrence les associations étudiantes et les assemblées générales. C’est l’implication dans ces structures légales et ces espaces de délibération et de décision qui permet l’établissement d’un rapport de force avec le gouvernement, en fédérant les énergies et en permettant aux membres d’une association étudiante d’être tenu·e·s informé·e·s des enjeux les plus pressants et des actions à organiser pour se faire entendre. De plus, la capacité d’entrer en grève par l’entremise des assemblées générales fournit aux associations étudiantes québécoises un moyen de pression et de perturbation essentiel, à la fois pour libérer du temps à des fins politiques et pour organiser des actions militantes et des campagnes de mobilisation durant les journées de grève.
En assurant une passation du savoir militant entre les cohortes étudiantes et en offrant une certaine stabilité financière, les associations étudiantes doivent toutefois s’assurer de répondre et de s’adapter aux nouveaux contextes de mobilisation et aux revendications de leur base. C’est alors qu’entre en jeu le deuxième axe du syndicalisme étudiant de combat.
L’éducation populaire
Ce qui a permis au mouvement étudiant québécois de se développer au Québec relève d’un équilibre entre la transmission du savoir militant issu des luttes passées et une attention aux nouvelles revendications de la base, lequel permet d’assurer une continuité entre les enseignements d’hier et les priorités d’aujourd’hui. Ce constat met en lumière l’importance de revenir aux formations et d’y inclure les nouveaux et nouvelles membres des associations étudiantes. Il faut également remettre de l’avant la mobilisation de terrain pour rejoindre les nouveaux et nouvelles militant·e·s potentiel·le·s.
Comme le mentionne la militante syndicale Jane McAlevey dans son plus récent ouvrage [1], il n’y a pas de raccourcis dans le monde militant : les assemblées générales sont vides parce que la mobilisation de terrain bat de l’aile. Il faut aller s’adresser directement aux membres, en personne, pour les rejoindre et les sensibiliser aux enjeux étudiants. Il est important de noter à cet égard que les réseaux sociaux constituent un espace pour rejoindre les converti·e·s plutôt qu’une stratégie pour renouveler la base militante.
Passer des tracts, parler aux gens et établir des liens personnels de confiance sont encore les meilleurs outils à notre disposition pour stimuler l’intérêt envers l’organisation et le mouvement étudiant. À ce travail de terrain doivent s’ajouter les formations et l’éducation populaire qui permettent aux nouvelles et nouveaux membres d’aiguiser leurs outils d’analyse et de mieux comprendre les réalités du mouvement étudiant. En somme, il ne faut pas oublier que nous voulons contrer les relations distantes et impersonnelles au profit de solidarités concrètes et que ces solidarités se construisent dans les interactions en personne et le développement d’un savoir commun. Ce qui nous amène au troisième axe de notre analyse.
La démocratie
Un problème auquel le mouvement étudiant fait présentement face est l’éparpillement des énergies militantes et le manque de coordination entre divers groupes affinitaires qui, à défaut d’être pourvus d’une structure formelle, ne sont pas redevables démocratiquement à une base élargie [2]. Parler de structure n’est pas qu’une question d’organisation, c’est aussi un enjeu de démocratie – une structure peut effectivement mener les gens à en gravir les échelons pour accaparer le pouvoir, mais elle permet également de créer des mécanismes clairs d’imputabilité pour contrer cette centralisation du pouvoir.
La démocratie et l’assurance que les élu·e·s sont redevables à leurs membres sont essentielles pour le dynamisme des associations locales qui permettent à une structure nationale comme l’ASSE de fonctionner. Il faut d’abord avoir une base locale mobilisée qui se sent écoutée par ses élu·e·s avant de pouvoir mener des campagnes nationales efficaces, en s’assurant également que l’ensemble des associations locales avancent de concert vers l’objectif qu’elles se sont fixé. Des solidarités politiques entre les associations étudiantes sont alors essentielles pour maintenir une certaine cohésion et développer la confiance qui leur permet d’organiser des actions communes. Ce dialogue interne, auquel s’ajoutent des alliances avec des groupes externes, permet à la démocratie étudiante de fonctionner aux échelles locale et nationale. Finalement, l’adoption de mandats en assemblée générale permet de s’assurer que les militant·e·s qui s’impliquent dans l’association nationale y représentent les intérêts de leur association et non leurs intérêts personnels, autant de mesures qui permettent d’assurer un équilibre entre efficacité et démocratie.
Continuer le combat
Avec la dissolution probable de l’ASSE et l’absence, pour le moment, d’une alternative avec une base militante à la fois large et stable, deux réactions principales peuvent être observées présentement. D’une part, le prolongement de l’activité militante dans des groupes affinitaires et, d’autre part, l’implication dans les groupes politiques plus conventionnels tels que les syndicats et les partis. Il faut noter ici que ces deux réactions correspondent en fait à des tendances politiques qui existaient déjà dans l’ASSE, la première étant généralement associée à l’aile plus révolutionnaire de l’organisation tandis que l’aile plus réformiste se reconnaît davantage dans la deuxième.
L’enjeu ici n’est pas de déterminer laquelle des deux options est préférable, mais plutôt de réfléchir aux conditions qui permettent un dialogue productif entre les différentes tendances qui composent la gauche étudiante en vue d’un nouveau cycle de luttes au Québec. Le dynamisme de l’ASSE en 2012 a effectivement beaucoup à voir avec sa capacité à lier ensemble des perspectives politiques qui ne sont pas amenées habituellement à dialoguer – anarchistes et socialistes, réformistes et révolutionnaires, etc. En définitive, il nous faut apprendre de nos erreurs, respecter les traditions militantes tout en demeurant à l’écoute des nouvelles revendications, établir des alliances avec des groupes qui partagent nos convictions et miser sur la mobilisation dans les associations locales et les actions directes pour reconstruire le mouvement.
[1] Jane McAlevey, No shortcuts : Organizing for Power in the New Gilded Age, Oxford University Press, 2016.
[2] On pourra lire à ce propos l’excellent texte de la militante féministe Jo Freeman : « The Tyranny of Structurelessness », Berkeley Journal of Sociology, vol. 17, 1972, p. 151-164.