Les batailles d’Internet. Assauts et résistances à l’ère du capitalisme numérique

No 074 - avril / mai 2018

Philippe de Grosbois

Les batailles d’Internet. Assauts et résistances à l’ère du capitalisme numérique

Myriam Boivin-Comtois

Philippe de Grosbois, Les batailles d’Internet. Assauts et résistances à l’ère du capitalisme numérique, Montréal, Écosociété, 2018, 264 pages.

Rares sont les individus indifférents à l’emprise grandissante des technologies de communication dans la vie quotidienne. Certains vont glorifier les possibilités qu’offre Internet quant à l’émergence de nouvelles formes de sociabilités, libérées des contraintes institutionnelles traditionnelles. D’autres, au contraire, vont dénoncer l’hubris des technologies médiatiques, source pour certains de l’aliénation post-moderne, et vont décrier la fragilisation des liens sociaux.

Philippe de Grosbois nous invite à dépasser ces deux perspectives, qui ne se contredisent qu’en surface. Selon lui, Internet n’est pas seulement un outil technique, mais aussi et d’abord une construction sociale, historique et politique, façonnée par des groupes humains, inscrite dans des rapports conflictuels et de multiples luttes.

De Grosbois présente d’abord un panorama des grands groupements ayant modelé le réseau Internet, soit les cybernéticiens, les scientifiques, les étudiants, les militants hippies et les entrepreneurs des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).

Ensuite, l’auteur rappelle certains succès qui se sont imposés dans cet univers, dont l’accès plus grand de la population à Internet et l’avènement des médias sociaux. Le Net et le monde numérique élargissent les capacités d’expression des individus ; ce qui s’est avéré bénéfique, entre autres, pour des mouvements de contestation, pour le partage d’œuvres culturelles et pour l’émergence d’une nouvelle approche journalistique militante. Or, l’auteur pointe aussi, et du même souffle, la centralisation des données, la surveillance, le contrôle et la répression de masse perpétrés par les entreprises et les États.

Par la suite, il expose différents enjeux contemporains qui risquent de se déployer davantage encore dans les prochaines années, telles l’implication politique des hackers et l’édification de partis pirates. Selon l’auteur, ces activistes sont mobilisés autour d’un « désir de mettre un savoir militant spécifique au service d’une tentative de démocratisation de la démocratie », avec les avantages et les écueils que cela peut comporter.

De Grosbois dresse ensuite le portrait du passage de l’immatériel (« mode d’organisation issu d’Internet ») au matériel. En effet, selon l’essayiste, non seulement diverses entreprises cherchent à collecter davantage de données sur les individus à travers les objets connectés (téléphones, laveuses, réfrigérateurs, voitures, etc.), mais, en plus, le capitalisme de plateforme tend à modifier en profondeur plusieurs secteurs économiques en valorisant l’auto- entrepreneuriat (ex. Airbnb, Uber).

Finalement, l’auteur esquisse l’idéal d’un Internet libre et commun, exigeant la neutralité du réseau, la décentralisation, voire la fermeture des plateformes gérées par les grandes entreprises, le développement de communs de la connaissance, la protection de la vie privée, l’appropriation populaire d’Internet, sa mise en relation avec d’autres mouvements sociaux et une égalité entre les hommes et les femmes dans le secteur numérique.

Bref, pour Philippe de Grosbois, les technologies de communication sont à la fois « déterminantes », mais aussi « déterminées ». Le lecteur est donc convié à (re)penser Internet et la place que le réseau occupe dans l’action politique des individus et des collectivités, bien que les marges de liberté d’action semblent, aux yeux de l’auteur, de plus en plus se rétrécir face à des géants du Web toujours plus puissants.

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