Le logement n’est pas une marchandise

No 074 - avril / mai 2018

Airbnb

Le logement n’est pas une marchandise

Philippe T. Desmarais

Les débats entourant l’encadrement des plateformes numériques d’hébergement touristique (dont la plus populaire est Airbnb) reviennent fréquemment dans l’actualité et les médias de masse, que ce soit au Québec ou ailleurs dans le monde. Le Comité logement du Plateau-Mont-Royal propose pour sa part leur interdiction totale.

Le principe de ces plateformes est simple : elles permettent à qui le veut d’ouvrir un compte en ligne et de louer ou de proposer un espace (un sofa, une chambre, un logement entier) pour une durée temporaire en échange d’un certain montant d’argent. Les arguments entendus suggèrent divers types d’encadrement, tout en permettant la prolifération de ces entreprises.

La pure et simple interdiction, qui peut sembler « extrême » au premier regard, est pourtant la seule qui s’attaque en profondeur au problème de la perte de logements locatifs causée par l’hébergement touristique de type Airbnb. De manière encore plus importante, elle s’oppose à la marchandisation du logement dans une logique de spéculation immobilière et remet de l’avant les luttes incessantes pour la reconnaissance du droit au logement [1].

Des conséquences néfastes

Les entreprises de type Airbnb créent de graves problèmes à l’intérieur du parc de logements locatifs québécois, particulièrement dans les grands centres urbains comme Montréal et Québec. Ces compagnies font d’abord monter le prix des loyers et entraînent une diminution du stock de logements locatifs disponibles. De fait, un logement qui se trouve en permanence sur un site comme Airbnb n’est plus disponible sur le marché locatif et fait donc augmenter de facto la demande de logements. Parallèlement, plusieurs utilisateurs et utilisatrices y voient un moyen efficace de faire davantage d’argent que sur le marché locatif contrôlé, et c’est dans ce contexte que plusieurs propriétaires tentent des reprises ou des évictions à cette fin. Ultimement, en plus des problèmes de bruit engendrés par les allées et venues constantes des voyageurs·euses, de la perte de vie de quartier et de l’augmentation de problèmes liés à l’insalubrité des logements, les plateformes de type Airbnb contribuent à une accélération accrue du phénomène de la gentrification dans les quartiers les plus affectés avec l’arrivée grandissante de personnes plus aisées et de touristes [2].

Le Plateau-Mont-Royal est le quartier le plus populaire sur Airbnb à l’échelle nationale et illustre très bien l’ensemble de ces conséquences. Près de 30% des annonces montréalaises sur la plateforme concernent ce quartier et on estime qu’un total d’environ 5% de l’ensemble des logements du Plateau-Mont-Royal sont proposés sur ce même site web en tout temps. Dans ce contexte, il faut reconnaître que les bénéfices individuels ne peuvent justifier les graves impacts qui en découlent à l’échelle collective.

Le refus de négocier un compromis

Pourquoi prôner une interdiction totale ? L’histoire récente nous montre que, de manière récurrente, les compromis politiques se font souvent au détriment des groupes militants qui proposent des solutions ancrées sur le terrain et qui s’inscrivent en dehors de la logique dominante de la loi du marché. En tant qu’organismes indépendants œuvrant dans le secteur de la défense collective des droits, il est primordial que des groupes comme celui du Comité logement du Plateau-Mont-Royal protègent leurs valeurs fondamentales et refusent de négocier dans une logique du « moins pire » des aspects qui touchent par exemple à la marchandisation du logement et à la protection du parc de logements locatifs.

Quelle que soit la situation, il est peu probable qu’un quelconque parti politique en vienne à adopter une position aussi forte que celle qui est proposée en raison de la logique électoraliste et de la nécessité des compromis. Toutefois, il semble bien plus important d’apporter dans l’espace public des débats de fond qui se basent sur nos croyances réelles et profondes, plutôt que de se contenter de « gains possibles » et de chercher à tout prix un consensus politique à l’image de ceux et celles qui siègent au Parlement.

En dehors des débats concernant Airbnb, le milieu communautaire est souvent embourbé dans de tels espaces dichotomiques. Souvent, il s’agit de choisir entre la ligne flexible et inflexible. L’objectif ici n’est pas du tout de renforcer la division ou de remettre en question l’unité nécessaire du milieu communautaire (surtout en cette époque de compressions et d’austérité budgétaire), mais plutôt d’en appeler à aborder ces questions ouvertement et de front afin d’assurer la pérennité d’une position critique et de l’essence même de l’existence des organismes autonomes.

Prendre position

Les sceptiques auront tendance à tourner le regard vers les différents modèles d’encadrement qui ont été mis en œuvre un peu partout dans le monde. De l’interdiction partielle (Berlin) aux limitations quantitatives et physiques liées aux nombres d’espaces loués (New York, Paris, Amsterdam), à la durée des locations et aux règles de zonage (Sonoma et autres villes américaines) ; des restrictions opérationnelles de nature très précise tentées dans certaines petites villes (Mau County, Hawaï) jusqu’à l’imposition de permis et de taxes comme au Québec, rien n’y fait ! D’un bout à l’autre du globe, l’ensemble des tentatives se sont montré peu efficaces, voire totalement inutiles. Dans le meilleur des cas, certaines rares villes ont réussi à ralentir l’augmentation exponentielle du nombre de locations proposées sur Airbnb [3].

Cela s’explique par le fait qu’on tente de garder les « bons côtés » de ces plateformes et qu’on ne part à la chasse que de celles et ceux qui abusent de son efficacité. Ainsi, on propose des solutions qui tentent de plaire à tout le monde, des compromis qui s’attaquent au supposé « irréalisme » d’une position d’interdiction totale. On délaisse ainsi le problème de fond qui consiste à assurer une réelle protection du parc de logements locatifs, au bénéfice individuel de ceux et celles qui utilisent ces sites web souvent dans un but mercantile afin « d’arrondir les fins de mois ».

Ce n’est pas exagéré de dire que la situation actuelle est alarmante, non seulement au niveau des villes et des quartiers les plus affectés (comme Montréal et le Plateau-Mont-Royal), mais également d’un point de vue global. Les compagnies comme Airbnb ne sont pas des entreprises à visage humain, malgré ce qu’elles veulent bien nous faire croire à travers les millions de dollars dépensés en campagnes de marketing. Elles ont plutôt toutes les caractéristiques des grandes industries capitalistes et dévastatrices qui participent à l’accroissement des inégalités mondiales. Collectivement, nous possédons un ensemble de raisons de s’insurger contre ces plateformes, de les attaquer et de les critiquer jusqu’à l’usure. C’est pourquoi il est important aussi de réitérer une prise de position en faveur d’une interdiction totale et du boycottage comme moyens de lutte directe aux intérêts du marché privé et de ce type de soi-disant « économie du partage ».


[1Cette position est également celle de deux regroupements nationaux, soit le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) et le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).

[2La recherche menée récemment par le Comité logement du Plateau-Mont-Royal explore ces aspects en profondeur. Elle est disponible en ligne : clpmr.com/wp-content/uploads/2016/11/CLPMR_phenomene_airbnb_FINAL_web.pdf.

[3Voir à ce sujet le site internet du chercheur Tom Slee, particulièrement en ce qui concerne les données ville par ville. Disponible en ligne : tomslee.net/airbnb-data-collection-get-the-data.

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