Présentation du dossier du numéro 97
La mort. Territoire politique et enjeu de pouvoir
Pour vous recevoir le numéro 97 par la poste, c’est ici.
« Si la mort, disait Jankélévitch, n’est pensable ni avant, ni après, quand pourrons‑nous la penser ? » À bâbord ! croit qu’il est indispensable de le faire maintenant, à condition de l’envisager non pas dans son aspect individuel, mais dans une perspective critique qui permettrait d’en éclairer le travail à une échelle collective. Voilà de quoi nous faire entrer dans le vif du sujet.
Une étrange intimité vient d’abord lier la mort et le travail. En effet, la récente lutte menée par les employé·es du cimetière Notre‑Dame‑des‑Neiges éclaire la réalité de celles et ceux que la mort fait vivre. À l’inverse, des études faites en milieu de travail montrent que celles et ceux que le travail fait mourir font souvent face à l’indifférence des exigences de la productivité et du patronat.
Nous avons aussi souhaité rendre un hommage à Barbabra Ehrenreich en effectuant un retour sur sa lecture féministe de l’histoire médicale. Cette grande figure de la gauche étasunienne, décédée en septembre 2022, nous lègue ici une analyse pointue de la professionnalisation de la médecine et de l’appauvrissement du sens de la mort dans les sociétés occidentales.
L’incontournable industrie funéraire rappelle de son côté que, même dans la mort, nous sommes rattrapé·es par notre appartenance de classe et notre condition socio‑économique. Une autre réalité de cette industrie ressort dans notre entretien avec une ex‑employée des pompes funèbres qui, après s’être heurtée aux limites de sa profession, a décidé de lui tourner le dos.
La dernière partie de ce dossier s’intéresse davantage à la question des liens entre la mort et le territoire.
L’affaire du cimetière de St‑Apollinaire montre ainsi comment les partisan·nes d’une forme étriquée de nationalisme sont parvenu·es à détourner un projet de cimetière musulman, révélant à la fois le fantasme des frontières et la valeur symbolique de l’inhumation.
La nécropolitique exercée par l’État d’Israël est un autre exemple de point de rencontre entre la mort et le territoire. Ici, les avancées coloniales en territoires palestiniens justifient une stratégie visant à rendre plus acceptables les « conditions de la mort », pour reprendre les mots d’Achille Mbembe.
Aux États‑Unis, les tueries de masses, les fusillades et les débats sur les armes à feu tracent des territoires politiques. La violence et la mort deviennent fondatrices de la nation.
Enfin, il semble impossible de ne pas évoquer les féminicides coloniaux au Canada de même que le génocide colonial plus large dans lequel ils s’inscrivent et le déni politique auxquels ils font face.
Ce dossier, atypique en raison du sujet qu’il aborde et du cadre qu’il cherche à lui donner, permettra de mieux comprendre, nous l’espérons, l’instrumentalisation sociale et politique des pertes humaines.
Bonne lecture !
Dossier coordonné par Isabelle Larrivée, Samuel‑Élie Lesage et Catherine Mavrikakis
Illustré avec des œuvres de Marcel Saint‑Pierre
Avec des contributions de Stéphanie Barahona, Patrick Chartrand, Miriam Hatabi, Maude Jarry, Jean-Yves Joannette, Philippe Lapointe, Isabelle Larrivée, Anne Latendresse et Catherine Mavrikakis.