Travail
Négociations du secteur public. Une société à reconstruire, une planète à sauver
C’est avec appréhension que plusieurs salarié·e·s du secteur public envisagent le prochain duel que sera la négociation des conventions collectives. Le gouvernement caquiste demeure foncièrement attaché au même credo néolibéral que son prédécesseur. Face à lui, des organisations syndicales extrêmement prudentes, malmenées par la droite depuis des décennies, se présentent en rangs dispersés.
C’est avec une grande appréhension que plusieurs salarié·e·s du secteur public envisagent le prochain duel que sera la négociation des conventions collectives. D’un côté, le gouvernement caquiste, bien qu’assermenté en promettant d’agir sous le signe « du renouveau, de l’humanité et de l’ouverture », demeure foncièrement attaché au même credo néolibéral que son prédécesseur, visant les gains de productivité, l’allégement fiscal, le contrôle des dépenses et le remboursement de la dette. Face à lui, des organisations syndicales extrêmement prudentes, malmenées par la droite depuis des décennies, se présentent en rangs dispersés.
Les négociations de 2005, de 2010 et de 2015 ont été décevantes et les membres le savent. Non seulement leur pouvoir d’achat ne s’est pas amélioré durant les 20 dernières années, mais leurs organisations syndicales n’ont toujours pas trouvé la recette d’une négociation du secteur public victorieuse. Qui plus est, leurs syndicats locaux sont souvent à consolider ou à reconstruire.
Le réseau de la santé et des services sociaux traverse des bouleversements majeurs depuis une douzaine d’années qui ont profondément déstabilisé non seulement les milieux de travail, mais la vie et l’action syndicale elles-mêmes. Réorganisation des unités d’accréditation, centralisation à l’échelle régionale, maraudage... autant de séismes ayant désorganisé les syndicats locaux, qui sont aujourd’hui à la recherche de leur identité et de leur centre de gravité.
Moins brutalement agressés, les syndicats du réseau de l’éducation demeurent placés devant leurs propres défis internes, potentiellement différents d’un établissement (ou employeur) à l’autre. Ici, l’assemblée générale est souvent réduite à une instance de validation des choix de l’exécutif, par exemple lorsqu’elle ne se réunit qu’une fois par année ; dans d’autres cas, c’est la direction syndicale qui est à bout de souffle ou qui ne parvient pas à assurer adéquatement la relève.
D’aucuns estiment que le mouvement syndical est en crise et ce diagnostic vaudrait notamment pour le syndicalisme du secteur public. Or, la ronde de négociation qui s’ouvre offre peut-être l’occasion de recadrer l’action syndicale, afin de remettre à l’ordre du jour l’enjeu du pouvoir des salarié·e·s.
Repenser le manuel d’instruction
Un des pièges à éviter est de reproduire machinalement les vieux réflexes des appareils syndicaux, qui ont tendance à faire des négociations du secteur public un exercice aseptisé, contrôlé par des spécialistes des conventions collectives. Ces personnes désirent habituellement imposer aux membres leur propre « manuel d’instructions » consistant à se concentrer sur les demandes à caractère corporatiste, à ne pas irriter l’opinion publique, à ne pas choquer les grands médias, à ne pas camper les négociations sur le terrain sociopolitique et à ne jamais enfreindre la loi (ni même suggérer qu’un syndicat membre puisse un jour songer à le faire) ni à s’assurer d’avoir développé un rapport de forces substantiel AVANT d’entamer les négociations.
Il faut repenser ce manuel d’instructions, en posant directement la question du pouvoir. Celui de l’ensemble des salarié·e·s dans la société et celui des membres dans leur syndicat. À l’instar des carrés rouges, il s’agit à la fois de proposer un horizon mobilisant, donc une pensée et un projet socialement inspirants qui à terme interpelle autant l’ensemble des citoyen·ne·s que les membres, et une pratique syndicale émancipatrice, qui enjoint ces derniers et ces dernières à récupérer leur souveraineté et à reprendre possession du pouvoir syndical, individuellement et collectivement.
La formulation et la promotion des revendications, qu’elles soient à caractère normatif (précarité, lourdeur de la tâche, organisation du travail, etc.) ou pas (salaires, retraites, etc.), bien que tout à fait légitimes, ne sauraient tenir lieu à elles seules de moteur à l’implication des membres dans ces négociations du secteur public. Cette étape est une condition nécessaire, mais non suffisante, à la pleine mobilisation des membres dans le processus. En effet, il manque encore le cadre stratégique permettant de gagner ; c’est ici que le souci de l’empowerment des membres et de la politisation des négos entre en jeu.
La pas si lointaine expérience de 2012 enseigne qu’il est possible de relancer un mouvement social ayant été longtemps assoupi. Celle-ci reposait sur au moins deux atouts. D’abord, une réflexion et une parole originales, plaçant la justice sociale (accès aux études supérieures pour les 99 %) au cœur de l’action. Ensuite, une stratégie fondée sur la confiance à l’égard de la base. Le dynamisme et la puissance dégagés par le mouvement sont ainsi attribuables en bonne partie à une grande souplesse de l’organisation de la mobilisation (auto-organisation, asymétrie des tactiques, etc.) et à l’importance accordée à la démocratie directe.
Cette grève a éveillé un large pan d’une génération à l’action politique en plus de révéler que la pensée de gauche au Québec rayonne encore largement en dehors des cercles militants. Le printemps de 2012 a été tellement mobilisateur que son élan s’est fait sentir jusqu’en 2015 lors des mobilisations de la négociation de la fonction publique, que l’on pense par exemple à la grève illégale des enseignant·e·s de cégep le 1er mai, à la grande manifestation nationale du 3 octobre et à d’innombrables autres actions éparpillées sur le territoire. Comme si les travailleuses et travailleurs s’étaient dit « si les étudiant·e·s l’ont fait, pourquoi pas nous ? ».
Cette énergie et cette détermination à faire sauter les chaînes qui nous retiennent dans un système qui se meurt se font toujours sentir sur le terrain. Les jeunes de 2012, on le sait, sont maintenant présent·e·s dans les milieux de travail et par suite dans les organisations, dont les syndicats.
Osons l’audace
Cependant, les centrales sont freinées par une inertie proportionnelle à leur taille et, comme toute organisation, par un instinct de survie qui les pousse toujours vers l’action feutrée plutôt qu’audacieuse. Nous surprendront-elles cette fois-ci ? Peut-être… mais la probabilité semble faible. Préférons-nous attendre que le mot d’ordre vienne d’en haut ? Pensons-nous sincèrement que le plan et les règles du combat social nous seront livrés par ceux qui sont en position d’autorité ? Les incitations à la lutte ne viennent jamais du pouvoir, même syndical, et l’impulsion de la transformation sociale provient toujours de ceux et celles qui foulent la rue.
Dans ce contexte, engageons-nous sans retenue dans les mobilisations citoyennes pour le climat qui pourraient culminer à l’automne 2019 en une grève pour la planète. Organisons la mobilisation en collaboration avec les autres syndicats locaux ainsi qu’avec les groupes communautaires et citoyens de notre région. Travaillons localement à créer une solidarité large, une convergence entre les forces écologistes, étudiantes et syndicales. Suivons l’exemple du Syndicat des professeures et professeurs du Cégep de Saint-Jérôme, qui a voté en assemblée générale une orientation liant les négociations à des enjeux écosystémiques (voir encadré).
Œuvrons aussi à retrouver notre souveraineté comme membres. Reprenons le contrôle de notre action, en laissant toute la place à la créativité. Cela peut se traduire d’une foule de façons. Notamment en nous dotant de moyens de communication propres afin de diffuser une information syndicale originale, différente de celle des organisations nationales. Formons des comités d’action politique dans nos syndicats pour redonner à la lutte un sens plus ample, ouvert sur la société. Créons des collectifs de mobilisation qui soient à la fois architectes des modalités d’action et maîtres d’œuvre de leur exécution.
Une telle approche favorise une asymétrie des moyens de pression en fonction des secteurs et des régions et c’est tant mieux. La grève de 2012 a montré qu’une mobilisation protéiforme est beaucoup plus dangereuse pour l’ordre établi qu’un plan centralisé. De plus, procéder ainsi, donc avoir foi en les capacités des membres, c’est s’offrir les moyens tant d’accroître le pouvoir syndical que de favoriser la réalisation de soi, c’est-à-dire l’accomplissement de soi à travers le militantisme. L’heure est venue de tonifier la vie démocratique de nos syndicats et de viser l’expansion de leurs capacités combatives.
Si nous préférons faire feu de tout bois sans attendre les consignes, c’est parce que le monde solidaire et écologique auquel nous aspirons ne peut être créé que par nous-mêmes. Nous rejetons l’idéal gestionnaire qui consiste à faire toujours plus avec moins. Nous revendiquons le droit de produire moins, pour notre propre santé, et le devoir de produire moins, pour la planète. Cette vie lente, en harmonie avec soi et avec l’environnement, ne s’obtient pas par des revendications comme les hausses salariales établies en fonction du PIB ou par des aménagements permettant de maintenir la charge (ou la cadence) de travail.
Si nous soulevons les pavés, c’est pour que les herbes qui se faufilent actuellement entre eux deviennent champs et forêts, pour que la vie verdoyante recouvre ce monde mourant d’acier et de béton.