Dossier - Syndicalisme : comment

Dossier - Syndicalisme : Comment faire mieux ?

Environnement. Est-on en train de manquer le bateau ?

Dominique Bernier

Depuis plus d’un siècle, le monde syndical a été à l’avant-scène des avancées sociales. Mais qu’en est-il de la question environnementale ? Pouvons-nous encore espérer une transition harmonieuse vers une société énergétiquement plus sobre tout en conservant un niveau de vie décent et sans trop affecter les emplois et les conditions de travail ?

Dès les années 1990, des syndicats se sont regroupés pour sonner l’alarme concernant la crise climatique – et plus largement, la crise écologique – en martelant qu’il n’y a pas d’emploi sur une planète morte. Le concept de transition juste a ainsi été développé pour faire pression sur les gouvernements afin que des actions concrètes soient mises en œuvre pour enrayer les changements climatiques.

Au cœur du concept de transition juste se trouve également une revendication clé. Pour le monde syndical, il n’était pas question que la transition vers une société sobre en carbone se fasse sur le dos de travailleuses et travailleurs risquant de voir disparaître leur gagne-pain dans les secteurs industriels lourds. Dès le début, nous avions ainsi l’amorce d’un arrimage étroit entre écologie et justice sociale, arrimage qui s’est peaufiné et élargi au fil du temps. En plus de l’impact de la transition écologique sur les travailleurs et les travailleuses, le monde syndical s’est vite rendu compte que l’impact sur les communautés – et en particulier sur les plus vulnérables – devait impérativement être considéré.

Aujourd’hui, la transition juste consiste en un ensemble de principes, de processus et de pratiques visant à ce que les réponses aux deux défis de ce siècle – protection de l’environnement et protection sociale – se renforcent mutuellement au lieu de s’opposer. C’est faire de la transition écologique un outil de justice sociale et de la justice sociale un moteur de la transition écologique.

Depuis de nombreuses années, le monde syndical joue un rôle clé au sein des négociations internationales sur le climat. Il rappelle aux décideur·euses tenté·es de miser sur un capitalisme vert qu’une réelle transition ne doit laisser personne derrière et implique des changements systémiques au sein de notre économie et de nos sociétés, lesquels ne peuvent être mis en place sans un réel dialogue social.

Des initiatives porteuses d’espoir

Bien que beaucoup de chemin reste à parcourir, les initiatives syndicales visant à réduire l’empreinte écologique dans une optique de transition juste ne manquent pas. Au Québec, la FTQ, qui rassemble une majorité de travailleurs et de travailleuses des secteurs à forte empreinte carbone, a adopté sa toute première résolution visant une protection de l’environnement en 1962. En 2014, l’organisation a amorcé un dialogue avec des ONG environnementales et des représentant·es de communautés autochtones pour mieux arrimer les questions d’écologie et d’emploi. En 2015, des représentant·es de la FTQ étaient présent·es à la COP21, où l’Accord de Paris a été conclu, et l’organisation a adopté, en 2016, une Déclaration de politique sur les changements climatiques intitulée Changeons le Québec, pas le climat ! La Fédération a aussi publié, en 2019, un Répertoire des pratiques syndicales en transition juste fournissant un grand nombre d’exemples concrets permettant de transformer les milieux de travail en fonction d’impératifs environnementaux.

L’approche de la FTQ en ce qui concerne la transition juste se décline en trois volets : une transition juste préventive, réparatrice et transformatrice. Le volet préventif a pour objectif de prévenir les pertes d’emploi en incitant les travailleuses et les travailleurs à être davantage acteur·trices que spectateur·trices devant les changements à venir et à travailler dès maintenant à la décarbonation de leur milieu de travail. Le volet réparateur vise à atténuer les pertes d’emplois en mettant en place des mécanismes permettant la requalification des travailleurs et des travailleuses et en revendiquant un filet social adéquat. Enfin, le volet transformateur mise sur le développement de structures de concertation dans les régions touchées afin de favoriser le dialogue social pour agir sur l’ensemble des composantes de la communauté.

Du côté de la CSQ, c’est le rapport Notre avenir à tous (communément appelé rapport Brundtland), publié en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, qui a été l’élément déclencheur d’une prise de conscience importante au sein de l’organisation. La centrale syndicale, qui rassemblait – et rassemble toujours – majoritairement des membres issu·es du personnel de l’éducation, de la petite enfance à l’université, a alors répondu à l’appel de sa base militante pour créer en 1993 ce qui se nommait alors le réseau des Établissements verts Brundtland (EVB-CSQ). Un EVB, comme on aimait le dire à l’époque, c’est un établissement où l’on éduque et agit pour un monde viable.

Au fil du temps, le réseau EVB-CSQ a publié un grand nombre de trousses pédagogiques permettant à ses membres d’intégrer les notions d’éducation relative à l’environnement et à la citoyenneté dans leur pratique pédagogique, mais aussi de mettre en place des activités structurantes pour réduire l’empreinte écologique des établissements et offrir des occasions d’engagement social et environnemental aux enfants d’âge préscolaire, aux élèves et étudiant·es. Quatre valeurs guident ce mouvement depuis les tout débuts : l’écologie, la solidarité, la démocratie et le pacifisme. Pour la CSQ, la protection de l’environnement a donc toujours été indissociable de la notion de justice sociale.

En 2020, pour mieux faire face à l’urgence des enjeux contemporains et répondre de façon plus adaptée aux besoins changeants de ses membres, le réseau EVB a amorcé un grand virage en faveur de la transition juste, lequel s’est traduit notamment par un changement de nom. Le Mouvement d’action collective en transition environnementale et sociale de la CSQ – le Mouvement ACTES – a vu le jour. Bien plus qu’un nouveau nom, le Mouvement ACTES apporte une nouvelle philosophie visant à systématiser les actions en faveur de ses quatre valeurs fondatrices, et notamment à mettre en œuvre une transition écologique juste des milieux de travail, en soutenant ses membres par le biais de nouveaux outils et services.

Parmi les autres initiatives, il faut noter qu’un grand nombre d’organisations syndicales ont aussi pris des engagements visant à atteindre la carboneutralité, voire le zéro carbone dans leurs activités. C’est notamment le cas du SFPQ, de la CSQ et de certains syndicats affiliés.

Un chemin parsemé d’obstacles

Malgré ces initiatives porteuses, un grand nombre d’embûches se dressent devant la bonne volonté des syndicats. 40 ans de néolibéralisme ont affaibli le tissu social et nourri l’individualisme, ce qui entraîne des répercussions sur l’ensemble des mouvements sociaux, et le monde syndical ne fait pas exception.

Le gouvernement mise sur la division pour mieux imposer ses politiques régressives. Ce qu’on a constaté après l’adoption en 2015 de la loi 10 [1], mise en œuvre dans le domaine de la santé par le ministre Gaétan Barrette, qui a forcé les organisations syndicales à s’affronter sans merci. Le maraudage qui en a découlé a encore des effets sur la cohésion syndicale. Dans le cadre des dernières négociations du secteur public et, plus récemment, celles des CPE, le gouvernement a une fois de plus opté pour la politique de la division en montant cette fois certaines catégories de travailleuses et de travailleurs les unes contre les autres au moyen d’offres salariales aussi différenciées qu’inéquitables.

Par ailleurs, le modèle de gestion mis en place dans le secteur public et dans un grand nombre d’entreprises, de même que l’endettement chronique des ménages lié directement à la réduction du pouvoir d’achat et à l’accroissement des inégalités, placent les gens en mode survie et rendent très difficile toute tentative de mobilisation en faveur d’une transition juste.

L’action collective comme voie d’avenir

L’ampleur de la tâche pour lutter contre le réchauffement climatique est telle, les changements requis si profonds, qu’il est inconcevable de ne miser que sur les gestes individuels, ou même sur le leadership d’une seule organisation, pour faire une réelle différence. Les décennies d’inaction des gouvernements nous montrent également qu’il y a peu à attendre d’eux. Seule une action concertée de grande envergure pourra entrainer les changements systémiques qui s’imposent.

Le monde syndical québécois s’est doté cette année d’une coalition – le Réseau intersyndical pour le climat (RIC) – qui se veut autant une communauté de pratique pour les acteur·trices syndicaux·cales qu’un organe de mobilisation des membres de la base en faveur de la transition juste.

De son côté, le Front commun pour la transition énergétique (FCTÉ) rassemble 90 organisations du Québec réparties en cinq catégories – syndicats, ONG environnementales, groupes citoyens, jeunes et groupes communautaires – dans le but de mettre en œuvre une transition porteuse de justice sociale à toutes les échelles de la société. Puisque les organisations membres rassemblent au total plus de 1,8 million de personnes, le potentiel de mobilisation de cette coalition est énorme. C’est le pari qu’elle s’est donné avec la mise en œuvre des Collectivités ZéN (zéro émission nette), une approche concertée déjà active sur quatre territoires, qui vise le déploiement de quatre nouveaux chantiers territoriaux chaque année. Ce sera aussi le cas des Chantiers ZéN en milieu de travail, une nouvelle approche visant à faciliter, soutenir et propulser une prise en charge collective de la transition juste des entreprises et des institutions par les travailleuses et les travailleurs.

Les organisations syndicales sont à l’image de la société et il est inévitable que leurs membres suivent les tendances actuelles dans leur diversité, de façon parfois contradictoire. Plusieurs n’échappent pas au repli identitaire et certains revendiquent davantage des privilèges individuels que des choix collectifs en faveur du bien commun. Les syndicats se voient parfois forcés d’avoir recours à un certain clientélisme pour conserver leur membership, qui leur confère la capacité d’agir en tant que force progressiste au sein de la société.

Cela dit, les organisations syndicales sont à pied d’œuvre depuis très longtemps pour faire valoir le caractère incontournable d’une transition juste et ne ménagent pas les efforts pour faciliter une prise en charge collective des solutions. Est-ce que ce sera suffisant ? Les changements seront-ils assez rapides ? L’avenir nous le dira, mais l’arrivée sur le marché du travail de jeunes travailleuses et travailleurs hautement conscient·es du péril climatique nous permet de garder espoir. 


[1NDLR : La Loi 10 a restructuré le réseau de la santé en abolissant les agences régionales et en centralisant l’administration dans des Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) couvrant de vastes territoires

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