Environnement
Négociations du secteur public : pas de place pour l’environnement
Alors que les employé·e·s du secteur public sont en pleine ronde de négociations pour le renouvellement de leur convention collective, force est de constater que l’environnement est pratiquement absent des revendications des syndiqué·e·s. Est-ce parce que le milieu du travail n’est pas un bon véhicule pour mener la lutte aux changements climatiques ou parce que les syndicats ne se sont pas encore pleinement saisis de cet enjeu ?
Au Québec, l’automne 2019 marquait un tournant dans la prise de conscience collective en faveur de l’environnement : citoyen·ne·s, syndicats et même politicien·ne·s sortaient dans les médias et dans la rue pour manifester l’urgence d’agir face à la crise écologique. C’est dans ce climat que les syndicats du secteur public s’apprêtaient à entrer dans la phase de négociation de leur convention collective. Pour plusieurs militant·e·s, ces deux grands événements devaient forcément se croiser, voire fusionner. La CSN avait déjà annoncé en octobre 2019 qu’elle allait exiger de la part des caisses de retraites un désinvestissement progressif des énergies fossiles [1]. Du côté de ce qu’on appelle la « Table centrale », le thème de l’environnement s’est donc rapidement trouvé une place.
Mais comment faire en sorte que la préservation de la biodiversité et le droit à un environnement sain puissent aussi être enchâssés dans les conventions collectives du secteur public ? L’expérience que nous avons vécue au printemps 2020 comme membre de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ) fut si peu concluante qu’elle fait douter que le milieu du travail soit un bon véhicule pour mener la lutte aux changements climatiques. Les raisons pour lesquelles cette question, pourtant brûlante d’actualité, n’a pas véritablement réussi à s’inscrire dans les revendications des employé·e·s de l’État cette année sont nombreuses et complexes, mais il importe de les identifier afin d’y trouver des solutions.
Les raisons de cet échec
D’entrée de jeu, il faut savoir que lors des négociations des conventions collectives de la fonction publique, chaque catégorie d’emploi rédige un cahier sectoriel qui contient des centaines de propositions de modifications à sa convention collective. Elles sont le fruit de vastes consultations, de l’atteinte de fragiles consensus et d’un délicat exercice de priorisation. Plusieurs de ces propositions n’en sont pas à leur première ronde de négociations et sont souhaitées parfois depuis des décennies. Ajouter un nouveau thème, à partir de rien, et en faire une priorité plus importante que ce qui est demandé en vain depuis des décennies est un exercice ambitieux.
Dans une vague de consultations menée par notre Fédération au cours de l’année 2019 [2], il avait été reconnu que les enjeux environnementaux n’étaient pas reflétés dans la convention collective des enseignant·e·s du collégial malgré l’urgence de la situation. À l’hiver 2020, notre Fédération faisait appel à ses syndicats pour formuler des propositions précises liées à la question environnementale. Le défi était de taille. Fallait-il que chaque institution révise sa politique environnementale en vue de réduire son empreinte carbone ou devions-nous plutôt viser des cibles plus concrètes, comme favoriser l’achat local dans les cafétérias ou encore réduire le nombre de places de stationnement de chaque collège ? Au terme des réflexions, les propositions soumises au plancher de la FNEEQ visaient plus largement à créer des comités paritaires locaux (formés de travailleur·se·s et d’administrateur·trice·s) et un comité paritaire national afin de s’assurer que les institutions du réseau offrent un milieu de travail sain orienté vers des pratiques écoresponsables. Pourtant, lors du délicat exercice de priorisation de nos demandes ce printemps, les propositions environnementales ont toutes été rejetées par la majorité des délégué·e·s.
Visiblement, elles et ils n’ont pas envisagé ces demandes comme étant prioritaires, mais surtout, n’ont pas perçu la lutte environnementale comme étant du ressort des syndicats. Est-ce bien leur rôle de se mêler de l’approvisionnement, du stationnement, du système de chauffage, du recyclage du matériel informatique, des couverts à la cafétéria ? N’est-ce pas plutôt la responsabilité des institutions, des municipalités, du gouvernement ?
D’autant plus que si, pour certain·e·s, la lutte aux changements climatiques est la seule priorité envisageable (« Pas de travail sur une planète morte » comme le clamaient plusieurs organisations à l’occasion de la Grève pour la planète du 27 septembre 2019), pour plusieurs, il s’agit d’une lutte qui appartient à d’autres acteurs de la société : les syndicats sont là pour défendre les droits des travailleur·se·s ; Greenpeace est là pour l’environnement [3]. Sans oublier qu’en matière environnementale, les différences régionales sont importantes. Les enjeux de transport et les îlots de chaleur ne sont pas perçus de la même façon à Montréal qu’ailleurs, alors que la convention collective, elle, est la même pour tou·te·s.
Par ailleurs, les gains collectifs paraitront, aux yeux de certain·e·s syndiqué·e·s, comme des pertes individuelles. Augmenter les espaces verts autour du milieu de travail afin de permettre aux employé·e·s de prendre des pauses dans un environnement plus relaxant et moins chaud, c’est sans conteste une belle amélioration. Mais si, pour y arriver, il faut réduire la taille du stationnement, cela pourrait signifier devoir se stationner plus loin. À certains égards, faire des propositions de nature environnementale reviendrait donc à dire que les travailleur·se·s demandent à leurs patrons de leur retirer certains privilèges, et ce, en échange d’une intangible diminution globale des émissions de carbone. Cela parait plutôt contre nature pour un syndicat.
Les raisons pour reprendre le combat
L’expérience du printemps 2020 illustre qu’il n’est pas simple d’inscrire l’environnement dans des conventions collectives qui servent essentiellement à encadrer les conditions de travail. Pourtant, peut-on vraiment dissocier travail et changements climatiques ? Chaque jour, plus d’un demi-million de travailleur·se·s de l’État québécois se déplacent, le plus souvent en voiture, pour rejoindre leur milieu de travail. Ils et elles s’y stationnent, y mangent, y utilisent papier et matériel informatique et, par la même occasion, émettent des milliers de tonnes de gaz à effet de serre. À l’heure où plusieurs salarié·e·s s’efforcent de réduire leur empreinte individuelle à la maison, il est essentiel de leur offrir l’occasion de réduire les émissions de carbone générées par leur travail. D’autant plus qu’on sait maintenant que quelques grandes actions collectives ordonnées contribuent davantage à la réduction des émissions de carbone qu’un grand nombre de petites actions individuelles désordonnées [4]. Diminuer l’empreinte environnementale du travail, particulièrement des nombreux employé·e·s de la fonction publique, aurait donc une incidence non négligeable dans la lutte que nous menons collectivement contre les changements climatiques [5].
Les scientifiques nous le disent : la crise sanitaire que nous vivons est aussi une crise environnementale. Dans ce contexte, et tandis qu’il faut œuvrer à recréer le Québec de demain autour de pratiques écoresponsables, les syndicats ont la possibilité de se positionner en acteurs de premier plan en agissant sur ce qu’il est convenu d’appeler le « deuxième front », comme ils l’ont fait jadis pour la question des droits parentaux, des droits des femmes ou de l’égalité en emploi. Bien entendu, il reste aux militant·e·s syndiqué·e·s écologistes tout un travail de consultation et de conscientisation à faire. D’une part, il faut amener les syndicats à voir que l’enjeu environnemental relève de leur mandat au premier chef puisque c’est une question d’équité et de justice sociale. D’autre part, il faut convaincre les travailleur·se·s syndiqué·e·s que la question environnementale est directement liée à la santé et la sécurité au travail. Il reste encore deux ans, peut-être cinq, avant le prochain renouvellement des conventions collectives des employé·e·s du secteur public. Il n’est pas trop tôt pour commencer la lutte pour une plus grande justice climatique.
[1] Pour prendre connaissance des demandes environnementales de la CSN, consulter la page de son site consacrée aux négociations 2020 : « Outils. Table centrale ». Disponible en ligne.
[2] C’est en qualité respectivement de président et de coordonnatrice à la mobilisation du Syndicat des professeur·e·s du cégep de Saint-Laurent (SPCSL) que nous avons suivi de près les préparatifs de la FNEEQ en vue du déclenchement des négociations.
[3] Pourtant, dans le contexte des luttes antiracistes du printemps 2020, Greenpeace a clairement lié sa mission de lutte environnementale à la lutte pour la justice sociale. Farrah Khan, « Le suprémacisme blanc est intrinsèquement lié à la destruction de l’environnement, mais ce n’est pas pour cela que nous le combattons ». Disponible en ligne.
[4] Selon une étude du cabinet conseil Carbone 4 : « L’impact probable des changements de comportement individuel pourrait stagner autour de 5 à 10 % de baisse de l’empreinte carbone ». Voir César Dugast et Alexia Soyeux, « Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’État face à l’urgence climatique ». Disponible en ligne.
[5] L’ACW (Adapting Canadian Work and Workplaces to Respond to Climate Change project) recense dans une base de données les articles de conventions collectives canadiennes à teneur environnementale. On y trouve notamment de nombreux exemples d’incitatifs à l’utilisation du transport actif ou collectif et à l’abandon de l’auto-solo avec parfois comme objectif la réduction des espaces de stationnement et donc des îlots de chaleur.