Présentation : La rectitude politique en débat
La rectitude politique n’est pas née de la dernière pluie. Elle remonte à plusieurs décennies et a été le plus souvent utilisée par les intellectuel·le·s de droite pour disqualifier la gauche globalement à travers certaines de ses positions minoritaires, parfois effectivement discutables. Elle revient aujourd’hui dans un contexte social et politique inédit autour d’enjeux nouveaux (l’appropriation culturelle, le racisme, les questions de genre, l’approche intersectionnelle entre autres) liés à la transformation générale de nos sociétés capitalistes.
Provenant de la droite, la question de la rectitude politique ne peut pas pour autant être écartée d’emblée, car certaines manifestations que cette désignation pointe relèvent de courants de la nouvelle gauche pluraliste qui a émergé au cours des dernières années et qui intervient très activement et bruyamment sur de nouveaux terrains de lutte.
Une question complexe et difficile
Elle soulève des enjeux conceptuels : qu’est-ce que la « rectitude politique » ? Une sensibilité d’ordre très général, une manière de réagir consensuelle devant certaines réalités culturelles, sociales, politiques ? Ou l’expression d’un courant plus délimité, véhiculant une conception normative de la société et de la politique, associé à une certaine gauche ? C’est un premier problème.
Un second est lié à sa signification plus proprement politique. On sait que cette sensibilité générale et ce courant ont été analysés et critiqués, parfois de manière virulente, par les penseur·euse·s conservateur·trice·s et les réseaux et revues de droite : Mathieu Bock-Côté, ici, en est une sorte de héraut emblématique, tandis que la revue Argument et d’autres de même affinité en sont des relais collectifs.
Cette perspective a été aussi mise en question par des intervenant·e·s de provenance libertaire, comme Normand Baillargeon dans un livre collectif récent intitulé significativement Liberté surveillée.
Elle a été également critiquée par la gauche réformiste américaine, notamment par Mark Lilla s’en prenant récemment à ce qu’il appelle la gauche identitaire, qui défend en priorité les minorités et les individus, l’enjoignant de se montrer plus pragmatique, plus efficace et de canaliser son action dans les institutions et, plus particulièrement, dans le parti démocrate, position aussi prônée récemment par Barack Obama.
Enfin, l’essai de Pierre Mouterde, Les impasses de la rectitude politique, publié l’an dernier, s’inscrit pour sa part dans la perspective de la gauche radicale et anticapitaliste. L’auteur soutient que la rectitude politique détourne de l’action transformatrice et émancipatrice visant des changements structurels dans les lois et les institutions et l’engage dans des luttes sectorielles, à portée plus restreinte.
Les articles de nos collaborateurs se situent en partie dans le sillage de cet essai dérangeant. Philippe Corcuff le critique vivement en lui reprochant de reprendre un argumentaire de droite et d’accroître le « confusionnisme » autour de cette question. Pierre Mouterde, pris à partie par Corcuff, rappelle les intentions de son ouvrage. Anne-Marie Le Saux plaide pour un dialogue politique respectueux et constructif qui évite de tomber dans les ornières du conformisme. Marc-André Cyr estime que pour sortir de la crise qui afflige actuellement la gauche dans son ensemble, il faudra que les deux tendances entre lesquelles elle est divisée retrouvent une unité autour d’enjeux et de luttes largement partagés, ce qui ne va pas de soi par les temps qui courent.
Ces réflexions devraient permettre d’approfondir les débats et d’amorcer des pistes de solution incitant la gauche – toutes tendances et sensibilités confondues – à retrouver son unité autour d’un projet global, incluant les luttes sectorielles, qui pourrait lui redonner l’importance décisive qu’elle semble avoir perdue au cours de la dernière décennie.
Mini-dossier coordonné par Anne-Marie Le Saux et Jacques Pelletier
Avec des contributions de Philippe Corcuff, Pierre Mouterde, Anne-Marie Le Saux et Marc-André Cyr