Le communautaire à bout de souffle

No 091 - Printemps 2022

Société

Le communautaire à bout de souffle

FRACA Montréal

La pandémie de COVID-19 a exacerbé la surcharge et l’épuisement dans les organismes communautaires qui souffrent de sous-financement, de mauvaises conditions de travail et d’un manque de reconnaissance. Depuis plusieurs années, les organismes ressentent des pressions pour offrir davantage de services directs à la population, ce qui contrevient parfois à leur mission et mine leur autonomie.

Les dernières années ont été très difficiles ; la pandémie de COVID‑19 a frappé très fort et a affecté le quotidien de toute la population québécoise. Elle a mis en lumière les limites du réseau de la santé, mis à mal par des décennies d’austérité volontairement programmée par des gouvernements successifs en quête d’économies faciles. La pandémie a aussi rappelé à la population que les gens ne sont pas tous égaux face à la crise et que les inégalités existaient bel et bien avant celle-ci.

Ça, les organismes communautaires l’ont compris depuis longtemps. Leur existence même est vouée à soutenir, en lien avec leurs missions respectives et de diverses manières, les populations, notamment les plus démunies. Véritables milieux de vie et espaces démocratiques, vecteurs de changements sociaux, les organismes communautaires font un travail qui ne se limite pas à l’aide d’urgence. Et ils le font avec brio !

Un constat d’épuisement

Mais voilà, les regroupements communautaires sonnent l’alarme depuis un bon moment déjà : les organismes sont sous-financés, ils peinent à offrir des salaires comparables au réseau public, vivent un manque criant de personnel doublé d’un exode de l’expertise et jonglent avec des redditions de compte de plus en plus complexes et exigeantes… Ils nagent dans un véritable casse-tête logistique ! Les organismes étaient déjà « dans le rouge » avant la pandémie, alors que dire maintenant !

Au plus fort de la crise, la population avait urgemment besoin de soutien et s’est tournée vers les organismes dans les quartiers. Ceux-ci ont tous répondu présents, et s’ils n’offrent pas directement des services aux personnes, ils ont contribué d’une manière ou d’une autre à la mise en place des réseaux de solidarité sur le terrain.

Leur travail a été auréolé, salué, vanté, et soudainement, des financements d’urgence ont pu descendre dans les milieux ! Victoire… ? Vous aurez compris que non. Ces financements ne seront pas renouvelés, comme si les effets de la pandémie sur les personnes allaient disparaître par magie avec la vaccination !

Il est écrit partout et documenté : la pauvreté gagne du terrain au Québec. Les organismes communautaires, qui ont si vaillamment soutenu les gens au plus fort de la crise, sont eux-mêmes à bout de souffle. Le manque de personnel est généralisé. L’épuisement est marqué. C’est le travail tout entier du milieu communautaire qui est présentement menacé… Le Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) le souligne dans son communiqué de presse du 29 novembre 2021 : « Avec le manque de personnel, plusieurs organismes sont contraints de réduire, et parfois même d’abolir, certaines de leurs activités. Plusieurs s’interrogent même sur leur existence à court et moyen terme, ce qui entraînerait des conséquences irréparables pour les personnes les plus vulnérables. »

L’autonomie en péril

L’action communautaire autonome (ACA), regroupant environ 4 000 organismes et 60 000 travailleuses et travailleurs au Québec, est un mouvement unique au monde. Il est reconnu depuis 2001 par la Politique gouvernementale en action communautaire, cette politique assurant en principe un financement public en soutien à la mission des organismes. Récurrent et non contraignant, il devrait couvrir les frais de fonctionnement et les activités. Cependant, faute d’investissements publics adéquats, les organismes doivent depuis longtemps adapter leurs actions aux fonds disponibles. Ils multiplient les demandes gouvernementales et privées pour décrocher des subventions par projet ou des ententes de sous-traitance. Sources d’insécurité pour les groupes, ces financements ponctuels précarisent autant les emplois que les activités offertes dans les communautés. Aussi, ces programmes orientent l’action des groupes, attaquant directement leur autonomie.

À ce propos, le gouvernement du Québec reconnaît explicitement que les organismes d’ACA devraient être libres de déterminer leur mission, leurs approches, leurs pratiques et leurs orientations. Or, c’est de plus en plus difficile avec l’érosion du financement à la mission au profit de la multiplication des fonds, visant à pallier les manques flagrants de services publics et changeant au gré des préférences les philanthropes. Avec des moyens extrêmement limités, les organismes rivalisent d’ingéniosité afin de réaliser leur mission et de poursuivre leurs actions vers une plus grande justice sociale : ils oeuvrent à la mise en commun des défis individuels pour en faire des luttes collectives.

La pandémie a accéléré ce mouvement de déresponsabilisation du gouvernement face aux besoins des populations, notamment les plus marginalisées. Cela a pour effet d’augmenter la pression sur les organismes communautaires pour offrir encore plus de services aux personnes. Avec l’augmentation fulgurante des besoins et l’appauvrissement du communautaire, il est plus qu’urgent de se faire entendre !

La lutte unitaire paie !

On ne le répétera jamais assez : la situation actuelle est intenable. Avec la crise sociale, sanitaire et économique de ces dernières années, les organismes communautaires et les personnes qui sont au coeur de nos groupes ont vu leurs conditions se dégrader. Depuis 2001, le financement des organismes a augmenté peu à peu, mais jamais à la hauteur des besoins.

Les organismes d’action communautaire ont toujours lutté pour un financement qui leur permettrait de réaliser pleinement leur mission et, en 2016, ils ont décidé de mettre en commun leurs efforts avec la campagne Engagez-vous pour le communautaire. Véritable mouvement historique de lutte unitaire, elle permet de lier nos revendications : une augmentation substantielle dans tous les programmes de financement à la mission et leur indexation annuelle, un réel respect de l’autonomie des organismes et un réinvestissement massif dans les services publics et les programmes sociaux.

Notre lutte pour un meilleur financement s’inscrit dans une vision plus large. Des années de politiques néolibérales et des budgets d’austérité ont eu des effets désastreux sur notre filet social en plus d’appauvrir les organismes. Enracinés dans les communautés qui nous ont créés, c’est au quotidien que nous sommes témoins des impacts sur la population du désinvestissement dans les programmes sociaux et les services publics. L’urgence est bien réelle !

Nous, les 4 000 organismes d’action communautaire autonome du Québec, revendiquons l’ajout de 460 millions $ au financement récurrent à la mission et une indexation annuelle qui couvre la hausse des coûts de manière adéquate. Ce montant représente le minimum nécessaire !

Le budget du printemps 2022 est le dernier avant les prochaines élections provinciales. Nous attendons des réponses positives à nos demandes, car le gouvernement québécois a les moyens de le faire ; il a délié les cordons de la bourse publiqueafin d’offrir des fonds d’urgence à plusieurs secteurs de la société québécoise. Avec de la volonté politique, tout est possible !

Chose certaine, les travailleurs, travailleuses, militants et militantes du milieu communautaire sont prêt·es à l’action, notamment avec la vague de grèves, fermetures, interruptions de services et actions dérangeantes qui ont eu lieu à travers tout le Québec en février 2022. Face à l’inaction du gouvernement, nous répondons avec notre force mobilisatrice et solidaire. Et s’il refuse de nous écouter, il nous trouvera sur son chemin !

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