Dossier : Financiarisation du (…)

Crise du logement (social)

Les gouvernements ont affaibli le filet social

Dossier : Financiarisation du logement - Champ libre au privé

Véronique Laflamme

La persistance de la crise du logement au Québec et les drames qui s’ensuivent montrent à quel point il devient essentiel d’agrandir de façon significative l’offre de logements sociaux. Mais la volonté politique n’est pas au rendez-vous.

Les listes d’attente pour un logement à loyer modique (HLM) n’ont pratiquement pas bougé depuis plusieurs années. Autour de 37 500 ménages – admissibles et répondant aux critères d’attribution – y sont inscrits. Alors que leurs besoins sont généralement urgents, l’attente pour leur obtention s’élève à plusieurs mois, voire plusieurs années. À Montréal, par exemple, le délai moyen d’attente pour un logement à loyer modique est actuellement de plus de 5 ans.

La rareté des logements sociaux aggrave le sort des ménages locataires à faible revenu, qui sont souvent abandonnés sans alternative pour se reloger après une éviction, et manquent de ressources pour se protéger des hausses abusives de loyer. Ces personnes doivent aussi subir multiples discriminations qui leur rendent l’accès au logement difficile. Il s’agit là de conséquences directes ou indirectes de la pénurie de logements locatifs et de la financiarisation du logement. Ainsi, les ménages éjectés du marché sont à haut risque de se retrouver finalement à la rue.

En plus de s’inscrire auprès de leur office d’habitation pour obtenir un logement à loyer modique, les locataires mal-logé·es peuvent aussi s’impliquer dans la mise sur pied d’une coopérative ou d’un organisme sans but lucratif (OSBL) d’habitation. Mais ces projets sont financés au compte-goutte depuis plus de dix ans.

Comment en sommes-nous arrivé·es là ? En 1994, le fédéral a cessé de prendre des engagements à long terme pour soutenir le développement de nouveaux logements sociaux et a alors freiné un élan dans l’expansion de logements sociaux pourtant bien amorcé dans les années 1980. Au début des années 1970, le logement social ne représentait que 0,5 % du parc de logements locatifs québécois. Grâce aux investissements massifs du fédéral, cette proportion a bondi à 10 % en 1990. Ottawa a été le principal bailleur de fonds de quelque 104 000 logements HLM, coopératives et OSBL, qui demeurent un important patrimoine collectif du Québec [1].

Le gouvernement du Québec peu inspiré

Suite à la mobilisation populaire et aux efforts de certaines mairies, le gouvernement du Québec a pris le relai et annoncé, en 1997, la création du programme AccèsLogis, permettant le développement de coopératives, d’OSBL d’habitation et d’offices d’habitation, pour des ménages à faibles et à modestes revenus. Éventuellement, les offices d’habitation ont également pu s’en prévaloir. Toutefois, le Québec n’a jamais remis en place un programme HLM comme celui du fédéral, dédié entièrement aux ménages à faible revenu. De plus, les investissements québécois n’ont jamais permis de financer autant de logements qu’il s’en réalisait avant le retrait du fédéral. Malgré tout, plus de 35 000 ont été construits depuis la création d’AccèsLogis.

Cependant, à partir de 2009, la non-indexation automatique du programme a commencé à ralentir, voire entraver la création des logements. D’autres modifications qui auraient dû être apportées ont traîné en longueur. En 2015, une grande consultation a été lancée par le gouvernement libéral de Philippe Couillard. Un rapport a été déposé et ses conclusions étaient claires : il fallait conserver le programme, mais aussi l’améliorer et le bonifier. La campagne électorale approchant, des sommes ponctuelles ont été octroyées pour débloquer des projets, mais les modifications les plus nécessaires se font encore attendre. Ainsi, la contribution du gouvernement du Québec, qui devait atteindre 50 % des coûts de réalisation des projets, a atteint un creux de 30 % en 2019.

Au royaume de la CAQ

Lorsque la CAQ a été élue en septembre 2018, 15 000 logements déjà programmés dans AccèsLogis n’étaient toujours pas réalisés. La CAQ avait promis de construire ces logements au cours de son premier mandat. Elle a attendu quatre ans pour ajouter des sommes substantielles dans son budget. Mais les coûts ayant augmenté, celles-ci n’étaient plus suffisantes : 8000 de ces logements ne sont toujours pas construits.

Pendant ce temps, seulement 500 nouveaux logements sociaux ont été prévus. Pourtant, Québec avait signé une nouvelle entente sur le logement avec Ottawa, et allait disposer de nouveaux fonds fédéraux qui auraient pu et dû servir à accroitre l’offre de logements sociaux.

Durant les campagnes électorales municipales de l’automne 2021, plusieurs candidat·es se sont fixé des objectifs de développement du logement social ; au lendemain des élections, les nouvelles mairies, elles aussi, ont demandé aux gouvernements supérieurs de nouveaux investissements en ce sens.

Cependant, en novembre 2021, au lieu d’investir dans la relance d’AccèsLogis, la CAQ a lancé un nouveau programme d’habitation dite abordable, le Programme d’habitation abordable – Québec (PHAQ) (voir encadré à la page suivante). Celui-ci amorçait une dangereuse privatisation de l’aide au logement en proposant le financement public à des promoteurs privés. D’autant qu’encore une fois, il a accru l’offre des subventions de ce qu’on appelle les « suppléments au loyer privés » (PSL-privés).

Or, il est connu et vérifié qu’en période de pénurie de logements locatifs, les propriétaires boudent systématiquement les PSL-privés destinés aux ménages à faible revenu ; ils préfèrent trier leurs locataires. Rien ne va mieux pour le PHAQ. Ce programme, conçu pour construire des logements destinés aux ménages à modestes et à faibles revenus, n’inclut pas systématiquement de subventions pour aider à garder les loyers à bas coût. De plus, les promoteurs n’ont aucune obligation de réserver des logements aux ménages qui sont le plus dans le besoin. Ainsi, les quelques logements prétendument abordables qu’ils construisent ne le sont en fait que dans une période restreinte, quand ils ne sont pas tout simplement inaccessibles dès le départ.

C’est dans ce contexte qu’a débuté la dernière campagne électorale, alors que 600 ménages locataires étaient toujours accompagnés par un service d’aide d’urgence parce qu’ils n’avaient pas réussi à renouveler leur bail au 1er juillet et à trouver un nouveau logement. De plus en plus de gens doivent dormir pendant des semaines dans des motels, voire dans leur voiture. Des familles sont prisonnières de leur logement insalubre. L’insécurité résidentielle et le désespoir des personnes qui en souffrent sont considérables. On s’attendait à ce que les partis politiques en lice aux élections soient talonnés sur les mesures à mettre en place pour répondre aux besoins de ces ménages. Ça n’a pas été le cas.

Le seul engagement pris par la CAQ a été de promettre 11 700 logements en 4 ans, dont seulement 7000 seront de nouveaux logements (les 4700 autres ayant déjà été annoncés). La CAQ n’a pas non plus précisé combien de ces logements seront effectivement hors marché, construits par des coopératives, des OSBL ou des offices d’habitation, ni combien seront réservés aux ménages à faible revenu. Pire, les 7000 nouveaux logements seront réalisés dans le cadre du PHAQ, avec tous les inconvénients que nous avons signalés, laissant croire que le programme AccèsLogis, plus adapté à la diversité des besoins, sera abandonné définitivement.

Les bonnes solutions

Le FRAPRU demande la réalisation de 50 000 logements sociaux en 5 ans, sous différentes formes. Ceci inclut un programme d’acquisition de bâtiments résidentiels locatifs et leur socialisation. Car s’il faut construire de nouveaux logements sociaux pour lutter contre une rareté des logements qui sévit dans toutes les régions, il faut 

aussi donner les moyens aux villes et aux organismes sans but lucratif d’acquérir des immeubles résidentiels existants pour contrer efficacement l’effritement du parc de logements locatifs encore abordables et assurer le maintien dans leur milieu des ménages qui y habitent, ce qui est incontournable pour faire face à la financiarisation du logement.

Ce chantier ne sera pas suffisant, mais c’est une première étape pour parvenir à une plus grande socialisation du parc locatif. Étant donné la vitesse avec laquelle le sort des locataires se dégrade, il devient plus que nécessaire de doubler le pourcentage de logements sociaux dans un proche avenir. Pour que le droit au logement de tous et toutes soit respecté, on ne peut pas compter sur le marché privé. 


[1À lire en complément, la brochure Évolution des interventions fédérales en logement, rédigée par François Saillant, disponible sur le site du FRAPRU : www.frapru.qc.ca/brochure-interventions-federales

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