Deuxième mandat de la CAQ : Cette priorité prioritaire qui cherchait une crise à résoudre

No 094 - Hiver 2022/2023

Éducation

Deuxième mandat de la CAQ : Cette priorité prioritaire qui cherchait une crise à résoudre

Wilfried Cordeau

Réélu, le gouvernement Legault veut redonner la priorité à l’éducation. Or, après un début de règne marqué par des mesures audacieuses, bien que fort discutables (abolition des commissions scolaires, généralisation des maternelles 4 ans, harmonisation de la taxe scolaire, abolition du cours ECR), le projet de la CAQ pour l’éducation semble s’essouffler. De quelle « priorité des priorités » parle-t-elle donc ?

Selon les dictionnaires, une priorité est le caractère de ce qui vient en premier, qui prévaut, qui a préséance. En clair : rien ne devrait être égal ou supérieur à ce qui fait l’objet d’une priorité. Encore faut-il que cette dernière ait un sens, une substance propres. Bref, qu’elle traduise un projet.

Au sommet : priorité à la continuité

Prioritaire, l’éducation l’est pour la CAQ depuis sa fondation en 2012. Son chef François Legault en fait en 2018 la « première priorité » de son gouvernement, proclamant le « redressement national ». Des mots et un ton forts, qui laissent entendre qu’il y a 1. un problème fondamental, voire une crise ; 2. urgence d’agir, et donc ; 3. nécessité d’un coup de barre pour reprendre le contrôle et donner une direction claire. L’ennui, c’est qu’on n’a jamais trop compris quelle était la crise ni perçu l’urgence pour un gouvernement qui, par contre, tenait à donner des coups de barre, malgré la réprobation générale, pour bien affirmer son leadership. Quant au redressement national, il se fait toujours attendre…

De la petite enfance à l’université, la question de l’éducation a pourtant brillé par son absence durant la dernière campagne électorale. Et pour cause : reléguée à l’avant-dernière section de la plateforme électorale caquiste (à la page 40 !), ce qui est désormais « la priorité des priorités » semble en panne de projet pour les quatre prochaines années. Les grands jalons de son programme posés dans le premier mandat, la CAQ semble vouloir se satisfaire désormais d’une confortable gouvernance tranquille, plein cap sur la hausse des taux de diplomation. Position surprenante de la part d’un gouvernement ultra majoritaire, qui aurait pu se permettre davantage d’audace. Plus qu’une dissonance, l’absence de proposition structurée, claire et originale traduit un problème profond de vision pour une éducation qui n’a plus de priorité que le nom.

À la base : priorité à la refondation

Bien qu’invisible à l’œil du gouvernement, la crise de notre système éducatif s’avère pourtant de plus en plus évidente à celles et ceux qui réclament en conséquence depuis plusieurs années de faire de l’éducation une priorité nationale. Essentiellement, les espoirs formulés lors des États généraux en 1995-1996 ont été trahis par des gouvernements qui disaient avoir l’éducation pour priorité, à travers des politiques néolibérales et d’austérité, des réformes managériales, et l’arrimage du système éducatif à l’économie du savoir. Sur ces constats, une douzaine d’organisations syndicales et étudiantes réclamaient en 2008 que « l’État québécois assume pleinement ses responsabilités démocratiques et se dote d’une véritable politique nationale de l’éducation publique réellement fondée sur les valeurs humanistes de justice sociale, d’égalité des chances, de solidarité et de coopération. » [1]

À l’occasion des 50 ans du Rapport Parent, en 2013, Paul-Gérin Lajoie s’inquiétant des « inégalités éducatives et culturelles » persistantes, appelait à une nouvelle commission d’enquête pour un nouvel élan collectif : « une deuxième Révolution tranquille doit être mise en chantier pour assurer l’exercice du droit de tous les jeunes et des moins jeunes à une éducation de qualité » et « mobiliser la collectivité autour des injustices scolaires. » [2] L’idée de cette commission 2.0 a depuis fait son chemin dans l’espace public, notamment en réaction aux réformes de structures à l’emporte-pièce, aux politiques d’austérité ou au déni obstiné de reconnaître les effets ségrégatifs d’un système éducatif à trois vitesses.

Plus récemment, la pandémie de COVID-19 a mis au jour toutes les vulnérabilités de notre système scolaire, depuis la vétusté de ses équipements et infrastructures, jusqu’à sa gouvernance opaque et chancelante, en passant par l’insuffisance des moyens déployés pour accompagner les élèves à besoins particuliers, la difficulté du réseau public à soutenir et retenir ses élèves comme son personnel, pour n’en nommer que quelques-unes. Essoufflée, l’école québécoise semblerait craquer jusque dans ses fondations. La crise existe. L’urgence est là. La grande discussion collective sur les coups de barre à donner ne saurait attendre davantage.

Vers des forums citoyens…

Las du déni et de l’inaction gouvernementaux face aux problèmes de fond et devant l’absence d’orientations structurantes pour repositionner l’école québécoise, des groupes citoyens ont choisi de ne plus attendre après le gouvernement pour s’y attaquer. Créé en 2017, le collectif citoyen Debout pour l’école ! s’est donné comme mission de refaire de l’éducation un enjeu social et politique, accessible et discuté par la population, à qui les institutions scolaires et leurs finalités appartiennent. Rédigé par une centaine de ses membres, l’ouvrage Une autre école est possible et nécessaire [3] propose un diagnostic large des enjeux et défis actuels de l’école québécoise, et convie la population à réagir à la dérive marchande et à la dépossession de l’éducation dans une grande discussion nationale.

Cette discussion, les collectifs Debout pour l’école !, Je protège mon école publique, École ensemble, et Mouvement pour une éducation moderne et ouverte (MEMO) ont décidé de l’organiser en marge des autorités gouvernementales, avec le soutien de quelques dizaines d’organisations partenaires de la société civile. Dès le printemps 2023, et sous la gouverne d’un groupe de commissaires dont l’autorité et l’expertise sont reconnues, une vingtaine de forums citoyens se succéderont dans autant de villes à travers le Québec pour se porter à l’écoute de la population, recueillir ses idées, imaginer des solutions et dégager des consensus pour influencer les décideurs et politiques publiques. Des sujets importants y seront soumis à la discussion, tels que la mission de l’école québécoise face aux défis actuels et futurs, l’égalité des chances face au contexte de compétition scolaire, l’inclusion et l’adaptation de l’école à l’heure de la diversité sociale et culturelle, la reconnaissance et le soutien des personnels scolaires, la participation démocratique au sein du système scolaire face à la régulation managériale, etc.

Inédit, cet exercice invite certainement à une grande mobilisation citoyenne et à un acte de réappropriation de la chose éducative par la population du Québec. Plus encore, il faut qu’il puisse jeter les bases d’une véritable refondation de l’institution scolaire et d’un projet rassembleur, clairvoyant et structurant pour l’avenir de notre société.

Forger une priorité nationale ?

Ces dernières années, l’éducation est redevenue un enjeu important pour la population du Québec, une priorité sociale. Occupant davantage le débat public, elle réunit et met en mouvement des milliers de citoyens et citoyennes, parents ou membres de la communauté éducative autour de collectifs, de débats, d’idées. Pour un gouvernement qui se targue d’en faire sa priorité politique, ce devrait être un signal positif et une invitation à construire ensemble un édifice plus solide. Malheureusement, la CAQ a choisi d’abolir la démocratie scolaire et de renforcer l’opacité et les silos qui dépossèdent la population de son institution. François Legault avait rapidement fermé la porte à une commission Parent 2.0, se disant plutôt à l’étape de l’action. Il faut croire que les caquistes savent ce qui est bon pour l’éducation de la nation, et qu’ils ne s’abaisseront pas à en discuter avec elle. Ni en campagne électorale, ni jamais.

C’est dans ce contexte que Bernard Drainville s’installe au ministère de l’Éducation. Lui qui plaidait en 2011 que la classe politique et la gouvernance devaient se rapprocher des citoyens, dit ne pas fermer la porte pour l’instant à un grand rendez-vous pour parler des problèmes du système d’éducation, si cela peut permettre d’identifier des priorités d’action. Dès la fin de l’hiver, des forums citoyens clés en main lui seront offerts sur un plateau d’argent : définition des problèmes et des solutions incluse. À défaut d’avoir un plan ou un projet fort pour répondre à cette crise de l’éducation qu’il ne voit pas, le ministre serait bien avisé de se présenter dans un de ces forums où l’avenir de notre système d’éducation et de notre société pourrait bien se forger autour de celles et ceux qui font et vivent l’école. À lui de décider si la priorité des priorités gouvernementale est suffisamment prioritaire pour s’abreuver à la volonté populaire et en faire une réelle priorité nationale. 


[1Manifeste. Faire de l’éducation publique la priorité nationale du Québec, 2008, p.14. numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3748255

[2Paul Gérin-Lajoie, « Je ne peux demeurer « tranquille », même à l’approche de mes 94 ans », Le Devoir, 21 septembre 2013.

[3Collectif Debout pour l’école !, Une autre école est possible et nécessaire, Montréal, Del Busso Éditeur, 2022, 472 pages.

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