Quelle démocratie scolaire ?

No 095 - Printemps 2023

Éducation

Quelle démocratie scolaire ?

Jean Bernatchez

La loi 40 sur l’organisation et la gouvernance scolaires, adoptée sous bâillon en février 2020, modifie substantiellement les rôles et les responsabilités des instances de gestion scolaire au Québec. Malgré la prétention du ministre de l’Éducation Jean-François Roberge de vouloir ainsi rapprocher la prise de décision de l’élève, l’adoption et la mise en œuvre de cette loi traduisent plutôt la négation des principes démocratiques et l’instauration d’une gouvernance scolaire au service du ministre de l’Éducation.

D’emblée, adopter une loi sous bâillon est une procédure antidémocratique. Il s’agit d’une mesure utilisée par un gouvernement pour limiter le temps parlementaire consacré au débat sur une motion ou sur un projet de loi, afin d’en accélérer l’adoption. Jadis, le terme « guillotine » était employé et il traduit bien la finalité de la procédure : trancher un débat en faveur du gouvernement. À peine 72 heures avant son adoption, le ministre de l’Éducation a déposé 82 amendements au projet de loi 40 ; les parlementaires et les autres acteurs scolaires n’ont pas eu le temps de les analyser en profondeur.

Sur le plan du contenu, ce projet de loi vise à revoir l’organisation et la gouvernance des commissions scolaires, qui deviennent des centres de services scolaires (CSS) administrés par un conseil d’administration composé de cinq parents, de cinq personnes représentantes de la communauté et de cinq membres du personnel scolaire. Malgré un déficit de légitimité attribuable à l’anémique taux de participation aux élections scolaires, les élu·es pouvaient auparavant discuter d’un enjeu en réunion ou en comité, prendre une décision et intervenir dans l’espace public en fonction des valeurs qui les animaient. Seule la direction générale du CSS peut maintenant s’exprimer dans l’espace public sur les enjeux scolaires de son organisation, ce qu’elle ne fait pas de manière critique à cause de son devoir de loyauté à l’endroit du ministre de l’Éducation.

Du côté des membres du CA, un même devoir de loyauté à l’endroit de l’organisation – le centre de services scolaire – plutôt qu’à l’endroit de l’institution – l’École – est inscrit à un règlement ministériel en vigueur depuis mars 2022. Il est couplé à un devoir de confidentialité, car les obligations des personnes administratrices des CA sont définies en vertu du Code civil du Québec : le CSS est une personne morale de droit public. Ainsi, toute critique d’une action du CSS par une personne membre de son CA peut être interprétée comme contrevenant au devoir de loyauté et associée à une « nuisance à la réputation » du CSS. Ce devoir de loyauté n’est pas véritablement assorti de droits, ce qui est implicite dans la formation offerte aux membres des CA.

En effet, la loi impose aux membres des conseils d’administration et des conseils d’établissement l’obligation de suivre une formation « élaborée par le ministre », mais plutôt sous-traitée à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP). Telle que pensée et dispensée, cette formation s’apparente à un exercice de soumission à l’évangile de la Nouvelle gestion publique (NGP). Il s’agit là d’un mode de gestion publique calqué sur le mode de gestion privée et prescrit aux ministères et aux autres organisations publiques par la Loi sur l’administration publique adoptée en 2000, et prescrit dans le réseau scolaire plus spécifiquement grâce à des modifications successives à la Loi sur l’instruction publique. La gestion axée sur les résultats est une des dimensions de la NGP.

Ajoutons que la loi 40 permet au ministre d’imposer des regroupements de services et de déterminer des cibles dans un ou des CSS, et de communiquer directement avec les employé·es des CSS et les parents. Obligation est faite aussi pour un CSS d’obtenir l’autorisation du ministre pour acquérir un immeuble et pour les municipalités de céder gratuitement des terrains aux CSS. Le pouvoir d’intervention directe du ministre de l’Éducation est ainsi augmenté par rapport à la situation d’avant la loi 40, caractérisée par une démocratie représentative certes imparfaite, mais néanmoins institutionnalisée.

Une gouvernance scolaire au service du ministre

Dans les sociétés dites démocratiques, les discours politiques associés aux changements sont ponctués d’intentions vertueuses : renforcer la démocratie, encourager la participation citoyenne, rapprocher la prise de décision du terrain. La modification aux normes et aux structures de gestion scolaire au Québec ne fait pas exception à la règle. L’intention gouvernementale déclarée était de renforcer la démocratie scolaire et la participation des acteurs scolaires à la prise de décision, et de rapprocher celle-ci de l’élève. C’est toutefois dans la mise en œuvre des lois, règlements et politiques que surgissent les manquements aux principes démocratiques. C’est le cas ici puisque la nouvelle gouvernance scolaire se traduit concrètement par un renforcement du pouvoir d’initiative et d’action du ministre de l’Éducation, au détriment des pôles locaux de gestion et de gouvernance scolaires.

Cela explique l’implosion de certains CA à cause de la démission massive de leurs membres parents, comme au CSS des Chic-Chocs en Gaspésie et au CSS des Chênes au Centre-du-Québec. Les membres parents des CA ne sont pas des technocrates à la recherche de la virgule de trop dans des documents techniques. Ce sont plutôt des personnes socialement engagées et inspirées par des valeurs fortes ; elles participent bénévolement à la gestion scolaire afin de promouvoir leurs valeurs. Des conflits de valeurs ne tardent donc pas à se profiler, à cause d’une différence d’interprétation des rôles et des fonctions des CA (CSS des Chic-Chocs) ou à cause de l’atteinte à la liberté d’expression induite par une définition stricte du devoir de loyauté (CSS des Chênes).

Les formes de démocratie sont légion, mais dans tous les cas se dégage un principe axial : est démocratique un système à l’intérieur duquel une personne peut exprimer librement son accord ou son désaccord avec une idée ou avec un projet sans pour autant craindre que cela ne lui cause préjudice. Il est possible de se questionner à savoir si les cinq membres du CA employé·es du CSS sont à l’aise pour exprimer un point de vue dissident devant la direction générale, leur supérieur et employeur, qui leur propose en réunion des recommandations fondées sur l’expertise de son équipe de direction.

En ce qui concerne les délibérations du CA, il est aussi pratique courante que les sujets délicats soient discutés en plénière lors d’une rencontre précédant une réunion officielle et publique afin d’aplanir les tensions et prétendre ensuite sur la place publique à un consensus. Enfin, rappelons que la loi accorde au CA le pouvoir de déléguer certaines de ses fonctions à la direction générale d’un CSS. Il est préoccupant que dans plusieurs CSS, les règlements relatifs à la délégation des pouvoirs aient été adoptés à la hâte lors des toutes premières réunions des nouveaux CA alors que les membres étaient peu expérimentés et pas en mesure de saisir toutes les conséquences de cet acte délégatif.

Bref, nous ne pouvons pas compter seulement sur le gouvernement de la Coalition Avenir Québec pour instaurer la démocratie scolaire. Le nouveau ministre de l’Éducation Bernard Drainville ne perçoit pas « l’école à trois vitesses » comme un problème. Son objectif n’est pas non plus de rendre le système scolaire plus démocratique ; il veut plutôt le rendre plus efficient grâce à une gestion axée sur les résultats aveugles des finalités éducatives. En outre, il devra être attentif aux initiatives qui s’inscrivent dans la perspective de la démocratie scolaire participative. Notamment, les forums citoyens « Parlons éducation » se déploient au printemps 2023 dans 18 villes du Québec. Ils permettront de dégager les enjeux de l’éducation au Québec à partir des préoccupations des principales personnes concernées [1].


[1Les idées proposées dans cet article sont développées dans cet ouvrage : Olivier Lemieux et Jean Bernatchez (2022). La gouvernance scolaire au Québec. Histoire et tendances, enjeux et défis. Presses de l’Université du Québec.

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