Mémoire des luttes
Wounded Knee : 50 ans de lutte
Le 27 février marquait le 50e anniversaire du début de l’occupation de Wounded Knee, une action menée par l’American Indian Movement (AIM) et des militant·es Oglala-Lakota de la réserve de Pine Ridge dans le Dakota du Sud. L’occupation, qui a duré 71 jours, marque un tournant dans les luttes pour les droits des peuples autochtones aux États-Unis.
Février 1973. Le site de Wounded Knee, situé au cœur de la réserve de Pine Ridge, est pris d’assaut par 250 militant·es de l’American Indian Movement et d’autres habitant·es de la région. L’American Indian Movement (AIM) est un groupe militant autochtone, créé à Minneapolis en 1968 afin de protéger les personnes autochtones des brutalités policières. À partir des années 1970, il se transforme en une organisation nationale et devient le fer de lance du mouvement Red Power, lui-même inspiré de la lutte pour les droits civils menée par des militant·es afrodescendant·es. Le AIM prend en charge de nombreuses luttes à travers le pays : indépendance économique, revitalisation des cultures traditionnelles, protection des droits reconnus par la loi et, plus particulièrement, autonomie sur les zones tribales ainsi que restitution des terres illégalement saisies par le gouvernement ou des compagnies privées.
Un siège connecté au passé
L’occupation de Wounded Knee, initiée par les habitant·es de Pine Ridge, vise d’abord à dénoncer la corruption du chef du conseil tribal Dicky Wilson ainsi que la violence exercée par ses hommes envers les Oglala-Lakota et plus particulièrement envers les traditionalistes. Avec la complaisance du gouvernement fédéral, Pine Ridge était devenue, sous la poigne de Wilson, une véritable prison pour ceux et celles qui tenaient à revaloriser leur culture et leurs traditions. L’occupation vise aussi à dénoncer les injustices historiques subies par les peuples autochtones aux États-Unis. Les occupant·es exigent notamment que le gouvernement fédéral respecte les traités historiques qu’il a signé avec les différentes nations – traités qu’il a plus souvent qu’autrement bafoués.
D’ailleurs, le lieu choisi pour l’occupation n’est pas anodin. Situé au cœur du Dakota, Wounded Knee entre dans l’histoire en 1890 alors que l’armée américaine y commet un massacre. Dans un contexte de guerre et de famine, alors que les territoires sioux sont confisqués par le gouvernement américain et les communautés autochtones disséminées, le 7e régiment de cavalerie, appelé pour « pacifier » la population de Wounded Knee, fusille entre 300 et 350 personnes. C’est pour se rappeler de ce massacre, mais aussi des luttes des peuples autochtones pour leur souveraineté, qu’un des slogans les plus populaires du AIM est “Remember Wounded Knee” (rappelons-nous de Wounded Knee).
Ras-le-bol et revendications
Lors de l’occupation de 1973, les militant·es prennent possession de plusieurs bâtiments dans la localité de Wounded Knee, dont le musée, une station-service et quelques églises. Les occupant·es proclament alors l’indépendance de la nation oglala (Oglala Independant Nation), un geste qui exprime le refus des habitant·es de Pine Ridge de se soumettre plus longtemps à l’oppression coloniale et aux structures gouvernementales corrompues (les conseils tribaux) imposées par le gouvernement américain.
Cette déclaration d’indépendance n’est pas que symbolique : elle s’appuie sur un traité de 1868 signé entre les Sioux et le gouvernement des États-Unis. Les occupant·es exigent de négocier de nation à nation, mais le gouvernement fédéral décide plutôt de déloger les occupant·es par la force. Très vite, l’occupation tourne à l’affrontement armé. Pendant 71 jours, plus de 300 personnes résistent à une importante force militaire et paramilitaire composée de soldats, d’agents du FBI et de policiers locaux. Au terme de l’occupation, on dénombre deux morts, assassinés par les forces répressives.
Legs et échos
L’occupation, bien que spectaculaire, n’a pas d’effet immédiat sur la réserve de Pine Ridge ; les relations entre les militant·es traditionalistes et le conseil tribal s’enveniment et la violence y perdure. Par contre, l’occupation de Wounded Knee fait apparaître au grand jour les revendications des nations autochtones aux États-Unis. L’action mobilise l’opinion publique qui se montre généralement favorable aux revendications des occupant·es. De plus, Wounded Knee contribue à former une nouvelle génération de militant·es pour les droits des peuples autochtones. Entre autres, certaines des militantes présentes à Wounded Knee forment l’année suivante l’association Women of All Red Nations. C’est aussi à ce moment que le AIM commence ses actions au Canada, notamment avec le blocage de Cache Creek en 1973.
L’écho du AIM dépasse les frontières coloniales – frontières que l’AIM ne reconnaît pas, d’ailleurs. Des membres de nations autochtones s’inspirent de leurs actions depuis 50 ans, partout à travers le monde. Lors de l’occupation de Wounded Knee, des militant·es kanien’kehá:ka sont allé·es soutenir leurs camarades aux États-Unis. À partir de 1973, de nombreuses organisations de défense des droits autochtones se rallient à l’AIM et à sa vision, et, dans les années qui suivent, quelques sections de l’AIM sont créées du côté canadien de la frontière. Les expériences d’occupations et de blocages, de réclamations territoriales et d’actions directes se poursuivent depuis, au Canada comme aux États-Unis.
Pendant les années qui suivent Wounded Knee, l’AIM continue d’offrir son appui aux luttes que mènent les communautés autochtones du côté canadien de la frontière – en autant que celles-ci le demandent, peut-on lire dans des entrevues avec des membres de l’AIM publiées dans Akwesasne Notes. C’est ainsi que les luttes de Ganienkeh (1974), de Fort Kanasaraken (1979), d’Oka (1990) et d’Ipperwash (1995), parmi d’autres, s’inscrivent clairement dans la continuité de Wounded Knee. C’est aussi le cas du blocage du chantier de l’oléoduc Dakota Access, de 2016 à 2017, par des militant·es autochtones à Standing Rock dans le Dakota du Nord. Ainsi, depuis 50 ans, les luttes pour les souverainetés autochtones se poursuivent, par tous les moyens nécessaires.
Sources
Blouin, Philippe (coord.), Matt Peterson, Malek Rasamny et Kahentinetha Rotiskarewake. La Mohawk Warrior Society, Éditions de la rue Dorion, 2022, 462 pages.
« On the Road to Wounded Knee », Indian Nation, Vol. 3, No. 1, Avril 1976
« The Struggle Continues – Wounded Knee », Akwesasne Notes, Vol. 5, No. 3, Juin 1973 « Voices from Wounded Knee », publié par les Akwesasne Notes (éditeur lié au journal du même nom).