Télévision queer

No 095 - Printemps 2023

Joëlle Rouleau (dir.)

Télévision queer

Audrée T. Lafontaine

Joëlle Rouleau (dir.), Télévision queer, Remue-Ménage, 2022, 176 p.

La télévision peut-elle être queer ? Peut-elle entraîner un changement social ? Peut-elle offrir un espace complexe de réflexion ? Pour répondre à ces questions, Télévision queer rassemble plusieurs essais afin d’analyser différentes productions télévisuelles dites mainstream, et ce, dans diverses cultures.

Dans le contexte récent de démocratisation de la création audiovisuelle et le déploiement d’une multiplicité de formats, nous nous sommes éloigné·es du média traditionnel et avons permis la multiplication des voix. Le médium des webséries, notamment, réduit la pression traditionnelle des cotes d’écoute et de la recherche de profit. Dans ce contexte, la télévision peut-elle devenir un lieu de résistance et de transformation sociale, ou représente-t-elle toujours un outil de normalisation ? Qu’est-ce qui motive cette plus grande visibilité et comment est-elle pensée ou représentée ?

Les essais présentés nous aident à comprendre ce qu’on entend par sensibilités queer, soit la conception d’une multiplicité de dimensions de l’identité et donc de la perception, de la représentation et de l’analyse. L’approche d’un recueil d’essais, et donc de diverses perspectives, prend ici tout son sens.

Ces textes font la démonstration de la force des oppressions patriarcale, coloniale et hétéronormative dans les médias mainstream. Ils illustrent les tensions entre la représentation de la diversité et la reproduction des normes sociosexuelles, défendues ou portées par la « majorité », soit le grand public ou par les créateur·rices même. Si nous déstigmatisons la diversité sexuelle et de genre, est-ce pour la resituer dans les normes sociales prédéfinies ? Est-ce pour recréer une nouvelle norme et donc risquer à nouveau d’exclure ? Ou est-ce réellement pour déconstruire les normes ?

Si l’on peut ressentir qu’il semble impossible d’atteindre l’idéal queer, ou que le regard critique ainsi posé crée une forme perpétuelle de déconstruction, j’invite les lecteur·rices à la patience et l’humilité. Car ce que cela démontre, c’est justement cette omniprésence des normes sociales qui créent l’exclusion. Si les déchirements des « grands mouvements sociaux » actuels peuvent nous apprendre quelque chose, c’est bien cette difficulté que nous avons à pleinement y déconstruire les rapports de pouvoir. Les sensibilités queer tentent cet exercice de déconstruction, mais bien au-delà des identités sexuelles et de genre : elles déstabilisent les normes qui sous-tendent l’entièreté de nos rapports sociaux.

La queerisation, soit cette constante recherche de déconstruction des normes, doit donc justement être inconfortable, constante et radicale. On retrouve alors des exemples de queerisation de la télévision par des créateur·rices qui rompent avec tous les codes attendus, qui refusent la hiérarchisation et les préconceptions de l’identité sexuelle ou sociale, mais aussi de la technique et de l’esthétique télévisuelles. Le potentiel transformateur de la pensée queer est ici réalisé concrètement.

Cette lecture inspire assurément un regard plus critique sur l’offre télévisuelle. J’espère qu’elle inspirera d’autant plus des créateur·rices qui souhaitent contribuer à cette utopie queer !

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