Environnement
Hub de mobilisation pour la justice climatique
Avec Jacqueline Lee-Tam et Isabelle Grondin Hernandez
Le paysage militant du Québec peut dorénavant compter sur l’appui et les formations d’un Hub de mobilisation pour la justice climatique. Cet organisme, qui s’adresse aux militant·es, opère virtuellement et rejoint plus de 30 villes et régions à travers le pays. Quelles sont ses visées ?
Propos recueillis par Isabelle Bouchard et Samuel Raymond
ÀB ! : Qu’est-ce que votre Hub ?
Jacqueline Lee-Tam : « Hub », c’est une expression qui désigne le cœur des activités. Notre Hub est donc un espace que des personnes militantes peuvent rejoindre pour apprendre différentes théories, modèles et compétences afin de surmonter leurs défis. Notre mission est de les écouter, de comprendre leurs défis et de les soutenir. Nous mettons l’accent sur le développement des capacités et l’éducation.
Notre aventure a débuté en 2020, dans un contexte où le militantisme était peu supporté par les fondations canadiennes. Notre organisation est principalement financée par les fondations familiales du Canada telles que Trottier, McConnell et Catherine Donnelly. Trois personnes salariées composent notre petite équipe, et elles s’entourent de personnes contractuelles. Nous offrons un large éventail d’activités de développement des capacités pour les organisateur·rices dans le milieu de la justice climatique. Depuis 2020, nous avons réalisé plus de 600 événements bilingues partout sur le territoire que l’on appelle Canada, pour plus de 3000 personnes.
ÀB ! : Votre organisation semble avoir un parti pris pour la décentralisation de type « organisation distribuée ». Qu’est-ce et pourquoi ?
Isabelle Grondin Hernandez : La décentralisation permet d’avoir des groupes qui sont outillés, autonomes, capables de s’organiser rapidement et d’absorber de l’énergie militante. Néanmoins, pour nous, ce n’est pas un absolu. La décentralisation est un spectre qui passe par le partage d’outils au plus grand nombre pour favoriser l’autonomie. Il est ainsi possible de favoriser le fait que des groupes soient autonomes sur certains aspects, mais coordonnés entre eux sur d’autres enjeux. Ce modèle s’appelle « l’organisation distribuée ». Il prend parti pour une union souple de groupes autonomes. Ainsi, nous n’allons jamais parler de mouvement totalement décentralisé, parce que ce n’est pas ce qui permet d’avancer lorsqu’une situation requiert une coordination.
Dans un contexte d’organisation distribuée, si des personnes viennent te voir et te communiquent leur intention de s’impliquer dans un groupe, il y a la possibilité pour ces dernières de créer une équipe de travail sans avoir l’accord d’une instance centrale. Cette façon de faire donne un plus grand pouvoir d’action à ces personnes. Surtout si on leur fournit du soutien. C’est ce que je veux dire quand je parle de l’absorption de l’énergie militante.
J. L.-T. : En 2020, les militant·es que nous avons consulté·es à propos des défis d’organisation nous ont confié que même si les mouvements aux structures verticales pouvaient sembler familiers, au Québec en particulier, iels avaient une préférence pour la formation de mouvements plus horizontaux. Disons aussi qu’il y a une résistance dans les mouvements plus alternatifs à l’organisation de style « structure verticale ».
ÀB ! : Quelles organisations ou quels individus participent à vos formations ? Quelles sont leurs principales préoccupations ?
J. L.-T. : Dans notre communauté, nous avons beaucoup d’étudiant·es, mais aussi une diversité de gens qui cherchent à développer leurs connaissances et compétences. Dit simplement, notre public est formé de personnes organisatrices qui militent tant sur la scène locale, nationale qu’internationale, et qui sont issues du milieu de la justice climatique et sociale. Elles veulent du support pour surmonter leurs plus grands défis quand vient le temps d’être en action.
Les préoccupations que nous avons entendues rassemblent des éléments communs et d’autres, plus précis. Au-delà des défis de s’organiser virtuellement, nous avons constaté que les gens cherchent de l’information et du soutien pour apprendre à s’organiser stratégiquement et structurellement dans une perspective horizontale, mais qu’ielles mènent aussi une réflexion sur les façons de favoriser l’autonomie des individus et groupes. Les gens ont aussi des difficultés à être sur la même longueur d’onde en ce qui concerne l’anti-oppression. Puis, les gens posent beaucoup de questions à propos des moyens pour gérer les conflits dans le contexte organisationnel.
En réponse à ces éléments les plus demandés, nous avons développé des ateliers sur les stratégies, la structuration, l’anti-oppression, la gestion des conflits et aussi un nouveau sur comment prendre soin (dans le sens de care) de sa communauté. Tous ces ateliers sont donnés sur une base régulière. Nous souhaitons que ces sujets soient aussi accessibles que possible.
À propos des demandes plus précises, nous avons par exemple eu plusieurs questions à propos de la sécurité numérique, des connaissances légales sur les droits, sur l’accessibilité universelle, sur les moyens de retenir les nouveaux et nouvelles membres, à propos de la transmission des connaissances en contexte cyclique en milieu étudiant. D’autres questions portaient sur comment s’adapter à la pandémie, comment intégrer les questions queer à la justice climatique, comment favoriser la rétention des apprentissages après des événements d’ampleur historique.
Chaque semaine, nous recevons des demandes précises et nous réalisons le suivi à travers l’organisation d’événements, l’offre de coaching, de mentorat ou la tenue d’ateliers et la rédaction d’articles wiki. D’ailleurs, nos activités sont entièrement gratuites.
G. H. : Nous invitons les personnes organisatrices à ne pas hésiter à nous contacter pour recevoir du soutien.
ÀB ! : Quelles sont vos attentes vis-à-vis des médias de gauche ?
G. H. : Souvent, les groupes militants savent que les médias peuvent leur donner une plus grande force de mobilisation en leur offrant de la visibilité, mais ils ne savent pas nécessairement quelles sont les pratiques pour qu’un média s’intéresse à eux ou comment les contacter. Juste le fait d’avoir des médias alliés rend le contact plus facile. Rendre visibles les ressources qu’un média peut offrir à des groupes engagés permet de faciliter la communication.
J. L.-T. : J’apprécie la façon dont vous interagissez avec nous. C’est toujours important que nos histoires soient bien comprises. Je me sens entendue et comprise. C’est une très bonne étape pour bâtir de bonnes relations. Pensez à ce que vous pouvez offrir aux mouvements et à la dimension réciproque de cette relation.
ÀB ! : Quels sont vos souhaits pour l’avenir de la justice climatique ?
I. G. H. : Mon souhait serait de faciliter la transmission des savoirs militants qui sont présents et qui évoluent chaque jour afin d’être à la fois plus intersectionnel·les, c’est-à-dire de lier les luttes pour la justice, et plus réfléchi·es, penser de façon à centrer notre but pour ce qui est d’accomplir la justice climatique.
J. L.-T. : Je proposerais deux choses qui sont interconnectées. La première, pour le Hub, c’est de faire émerger la convergence des luttes. Je pense à une plus grande et plus profonde liaison des groupes de façon à faire comprendre les liens entre justice climatique et sociale. Je nous souhaite de reconnaître que le mouvement traditionnel climatique est l’un des plus privilégiés, souvent blanc, de classe moyenne ou haute classe moyenne. Si on peut utiliser les privilèges de ce mouvement comme levier au service et en solidarité pour les mouvements pour la justice sociale, nous verrons une magnifique convergence de pouvoirs et cela pourra accroître le nombre de personnes participantes. C’est de cette façon que l’on pourra s’unir malgré les différences et les divisions imposées dans le but de transformer le système hégémonique qui rassemble la convergence de l’élite.
Je nous souhaite aussi que les mouvements soient bien soutenus, que les personnes militantes se sentent bien, solidaires et inspirées par leur travail incroyable de changement de la société pour le meilleur.