La Remise. Plus qu’une bibliothèque d’outils

No 68 - février / mars 2017

La Remise. Plus qu’une bibliothèque d’outils

Myriam Boivin-Comtois

De plus en plus de politicien·ne·s, de scientifiques et de militant·e·s s’accordent sur le fait que les crises sociales, économiques et écologiques ne peuvent être résolues par la croissance soutenable. La coopérative La Remise est une initiative, parmi de nombreuses autres, qui permet de revoir nos façons de consommer.

Selon le sociologue Yves-Marie Abraham, l’idéologie du développement durable porte en son sein trois apories fondamentales. D’abord, le développement est destructeur de la nature ; il est irréaliste d’avoir une croissance économique infinie, alors que la biosphère a des limites. Ensuite, la croissance est injuste ; il est chimérique de croire que nous pouvons rester dans une logique d’accumulation capitaliste tout en créant l’égalité entre les humains. Enfin, la croissance est aliénante, car elle s’appuie sur un système technicien de plus en plus puissant. Nous sommes tou·te·s pris dans les filets de cette dynamique de développement. Les petits comme les grands sont obligés d’y participer, qu’ils le désirent ou non. 

Devant ce piège, que faire ? Les objecteurs·trices de croissance partagent des visées divergentes. Cela dit, le sociologue a dégagé quatre grands principes phares permettant d’orienter nos actions : « Premièrement, une démocratisation radicale et pas seulement dans les institutions politiques. Le deuxième principe est d’aller vers l’autoproduction. Si l’on veut s’émanciper de ce système de production, il faut produire soi-même pour échapper à la tyrannie de la valeur. Le troisième principe, c’est ce que j’appelle la communalisation : c’est renoncer à une propriété exclusive. Le dernier élément est la coopération. Comment collaborer entre nous et avec les non-humains ? »

En 2013, les membres fondateurs et fondatrices de la coopérative montréalaise La Remise sont parvenus à mettre en place un dispositif combinant ces quatre différentes mesures : ils et elles ont érigé une bibliothèque d’outils. L’organisme a ouvert officiellement ses portes en 2015 dans le quartier Villeray. Depuis lors, la demande est exponentielle. D’abord porté par 7 personnes, l’organisme compte aujourd’hui plus de 80 personnes bénévoles impliquées au sein de différents comités. 

Communalisation

Le principe de La Remise est simple : plutôt que d’acheter vous-mêmes différents outils ou du matériel spécialisé, la coopérative propose à ses membres de payer 60$ annuellement et d’avoir ainsi accès à un catalogue de 1300 articles. L’adhésion à la coopérative, elle, coûte 10$ pour les particuliers. L’emprunt est d’une durée de sept jours. Votre projet prend plus de temps que prévu ? Vous pouvez prolonger votre prêt si les outils sont toujours disponibles. Il est possible d’emprunter des appareils pour la rénovation ou la construction, mais aussi du matériel pour cuisiner, coudre, réparer les vélos, faire du camping et manier l’électronique 

« On estime qu’une perceuse est utilisée en moyenne une minute par année. C’est donc ridicule que tout le monde ait sa propre perceuse à la maison pour une telle utilisation. On vit dans de petits appartements à Montréal, l’espace est limité. On a besoin de ce type d’outils de façon sporadique. Ta perceuse, si tu l’utilises trois fois dans l’année, tu as de gros projets. La Remise permet de consommer d’une autre façon. Pour un moindre coût, tu as accès à des espaces de travail et à une panoplie d’articles », explique Valérie Fréchette, l’une des membres fondatrices de la bibliothèque d’outils. 

Coopération

La mise en commun de divers articles permet ainsi aux membres de freiner le gaspillage frénétique et de réduire leur empreinte écologique.

La coopérative propose également un milieu de vie où les logiques de compétition, de concurrence, de hiérarchisation et d’exploitation sont reléguées aux coulisses de la vie sociale.

« Les gens travaillent ensemble ici. On voit souvent des membres discuter entre eux, s’entraider. Pour donner un exemple super concret, la première formation qu’on a donnée visait à produire des chaises Adirondack avec du bois de palette. Il y avait six participant·e·s. Aujourd’hui, ces personnes se parlent encore, alors qu’elles ne se connaissaient pas au départ. À la fin de la formation, elles se sont toutes accompagnées pour ramener leur chaise à la maison, parce que c’était lourd. Après ça, elles ont pris une bière ensemble », rapporte Valérie Fréchette. De plus, elle a observé que celles-ci ont maintenant pris l’habitude de s’entraider dans la réalisation de leurs projets individuels. Un exemple parmi plusieurs autres. 

L’entraide ne se limite pas aux confins de ses ateliers d’ailleurs, les membres de la coopérative épaulent régulièrement de nouveaux groupes désirant fonder des dispositifs similaires dans d’autres villes : « On a une personne au CA dont c’est le rôle. Elle communique avec les gens intéressés, les renseigne sur les démarches à faire et donne des conseils. On a même été contacté par un groupe de Nantes, en France, dernièrement », mentionne l’administratrice. L’organisme a lui-même été épaulé dans son démarrage par la Toronto Tool Library, créée en 2012. Plus encore, La Remise a récemment participé à un colloque à Baltimore, où elle a eu l’occasion de partager ses pratiques avec d’autres bibliothèques d’outils nord-américaines. 

Autoproduction

En plus du catalogue, les membres de La Remise ont accès à deux espaces de travail commun pour faire de la menuiserie, de la couture, de l’électronique et de la mécanique de vélos.

Mme Fréchette indique que la coopérative offre à ses adhérent·e·s une myriade de formations. Depuis son ouverture il y a près d’un an, les membres ont déjà pu participer à des ateliers communautaires et des conférences sur le vélo d’hiver, le travail du bois, l’agriculture urbaine, la fabrication de produits ménagers et plus encore. Ces différentes formations visent à démocratiser les connaissances : « On a donné deux fois des ateliers pour faire des sacs réutilisables. C’est l’une de nos bénévoles qui a donné l’atelier. Si les participant·e·s de cet atelier veulent en faire d’autres, ils savent que le patron est à La Remise. Ils y ont tout le temps accès. Ce n’est pas un truc qu’on réserve seulement aux formations. Le but, c’est que le savoir se transmette », déclare la cofondatrice. 

Démocratisation

L’autoproduction de certains biens permet aux membres de la coopérative de produire non pas pour gagner de l’argent, comme c’est le cas dans notre système actuel, mais bien pour répondre à leurs besoins. En ce sens, ils et elles sont en mesure d’échapper, en partie, aux logiques productivistes. Par ailleurs, Mme Fréchette observe que les membres de la coopérative éprouvent énormément de plaisir et de fierté lorsqu’ils ont réalisé eux-mêmes un article.

L’organisation de La Remise s’inscrit dans une gestion horizontale où, selon l’administratrice, l’assemblée générale « est le big boss »

La structure de la coopérative est composée de différents comités (bois, couture, vélo, programmation, communication, bénévole, finances) dans lesquels on compte des membres répondant·e·s. Ceux-ci et celles-ci assurent la communication avec le conseil d’administration et siègent à l’intercomité.

« Une fois par mois, les répondant·e·s assistent à l’intercomité. Chaque représentant·e parle alors de la réalité et des besoins de son comité. C’est important qu’il y ait un échange d’informations à ce niveau. L’intercomité a quand même beaucoup de pouvoir décisionnel concernant les problèmes rencontrés et les solutions proposées. Ensuite, ces solutions sont discutées au CA, puis présentées aux comités. C’est sûr que la démarche prend du temps, mais au moins il y a eu discussion », mentionne Valérie Fréchette. 

De surcroît, différentes mesures sont mises en œuvre afin d’assurer une transparence et une ouverture dans le processus décisionnel. Par exemple, le conseil d’administration transmet à ses membres le compte rendu de ses rencontres et rend accessibles les rapports financiers de l’organisme.

Le fonctionnement de La Remise est entièrement assuré par des bénévoles. L’organisme ne compte pour l’instant aucun·e employé·e. L’implication des citoyen·ne·s est donc au cœur de la dynamique de la coopérative. 

Vers une société post-croissance ?

Selon Yves-Marie Abraham, l’initiative collective de La Remise s’inscrit dans une logique de transformation qui ne parie pas sur une prise de pouvoir formel, mais plutôt sur une stratégie de masse critique, suivant l’appellation du philosophe Michel Lepesant. Lorsqu’il y aura un nombre suffisant d’expérimentations similaires à celle portée par les membres de La Remise, les décideurs·euses n’auront plus le choix de s’adapter et de sortir du développement.

Est-ce un vœu pieux ou une vision réaliste ? Dans tous les cas, la bibliothèque d’outils de Villeray permet dès à présent à ses membres d’interroger et de modifier leur rapport à la consommation.

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