La transition énergétique n’est pas un changement d’huile
La transition énergétique est devenue tellement populaire que le Parti libéral tente de la récupérer pour peinturer un plan carbone douteux. Mais vu le sort du développement durable et ses usages dangereusement cosmétiques, soyons critiques.
Transiter à partir de quoi ?
À quoi carbure-t-on en ce moment ? Certes, les infrastructures, industries et technologies contemporaines s’abreuvent d’hydrocarbures. Ce choix comporte des corollaires exponentiels vu le tarissement des meilleurs gisements, les contaminations, la détérioration de la qualité de vie de travailleurs·euses et de celle des communautés qui en subissent davantage les coûts et contrecoups, bien autrement que par le prix à la pompe.
Mais c’est loin d’être la seule énergie déployée pour reproduire le business as usual. Le travail de reproduction quotidien effectué gratuitement, ou presque, par des femmes tisse encore les fils ténus qui rafistolent les jours rudes au gré de siècles d’austérité. La révolution industrielle a eu ses effets dans le domaine, et ce ne fut pas particulièrement émancipateur. La double tâche n’est pas un progrès.
Tout cela se module aux intersections des oppressions, entre autres classistes, racistes et coloniales. Le système économique dominant, capitalisme en phase néolibérale version post-COP21, carbure toujours au sang et à la sueur des esclaves modernes, symboliquement salarié·e·s ou pas. Quand on pense aux gens qui font office de « ressources humaines » à l’échelle mondiale des secteurs manufacturiers, agricoles ou miniers, on ne peut ignorer la dimension raciste du labeur humain extrait brutalement comme carburant du statu quo.
Aussi, le cumul historique et la perpétuation des colonialismes sur les territoires autochtones occupés fournissent les « ressources » essentielles au déploiement hyper-technologique en cours. Le colonialisme peut donc être considéré comme un carburant de cette ère.
Par ailleurs, les Peuples Premiers réitèrent que ces territoires, cette nature, les écosystèmes que nous habitons, ce sont la base de tout. Tout. Et avec raison. L’actuelle fuite en avant se gave du labeur naturel.
Autres intrants au régime ? Les conflits armés et les marques de terreur durables qui les accompagnent. Les guerres pour des enjeux énergétiques, mais également l’industrie militaire et son empreinte écologique. Il y a aussi, entre autres, la misère ordinaire et les corps armés qui en protègent les nantis…
Vous l’aurez compris, multiples sont les dépendances malsaines du régime actuel ; le pétrole n’est pas la seule. Si certain·e·s veulent maintenir indéfiniment la croissance économique exponentielle tout en sortant de la dépendance aux hydrocarbures, à quel prix cela pourrait-il se faire ? Des technologies peuvent optimiser des processus, voire générer des emplois dans certains secteurs, mais si les mêmes élites décident, leurs intérêts continueront d’être servis au détriment du bien commun. Sans surprise, au nom d’une urgence climatique et écologique (réelle !), plusieurs des « solutions » actuelles et celles promues exacerbent les oppressions qui ont cours. Telle est notre époque, faite d’inerties lourdes de ses vainqueurs.
Où aller alors ?
Comment éviter une transition énergétique qui ne serait que le changement d’huile d’une même machine revampée ? Plusieurs propositions mijotent, et aucune ne suffira à elle seule, car il faut reconnaître cette complexité et considérer que plusieurs transitions sont nécessaires. D’ailleurs, pour que les propositions soient émancipatrices, il serait opportun que ceux et celles qui incarnent la défense des droits collectifs soient partie prenante de « la transition ». Si on amorçait une démarche plurisectorielle de développement et de mise en œuvre de mesures, d’infrastructures et de projets constituant des éléments de transition énergétique, de lutte ou d’adaptation aux changements climatiques qui soient porteurs de justice sociale, qu’est-ce ça voudrait dire ?
Si, afin de réduire le transport de denrées alimentaires, on bâtissait une serre nourricière communautaire ? Cela pourrait procurer bien-être, rencontres, sécurité alimentaire, etc. Et si on en bâtissait mille ? En intégrant à notre démarche des processus de décolonisation et de pratiques féministes, bref de pratiques anti-oppressives, quelles possibilités émaneraient de ce genre de projet ?
Les pistes sont nombreuses. Pensons au logement. Le secteur du bâtiment québécois est une source importante de GES. Parallèlement, les besoins en logements sociaux sont criants. Or, un logement bien conçu peut réduire la consommation d’énergie et offrir une qualité de vie qui ne devrait pas être un luxe. De plus, la construction est un secteur syndiqué et plusieurs organisations syndicales adoptent des positions fortes pour une transition juste qu’il faudra bien amorcer un jour ou l’autre.
Dans un autre registre, il est nécessaire d’aller vers une démocratisation et une décentralisation de plusieurs dimensions du pouvoir décisionnel, voire législatif, notamment celui d’agir sur ladite « gestion des ressources » et l’aménagement du territoire. Et si un vent de transitions porteuses de justice sociale tentait de se déployer lors des prochaines élections municipales, instance au cœur des enjeux d’aménagement, surtout « en région » ? Ce ne serait probablement pas suffisant pour tout changer, mais ce serait peut-être un nouveau point de départ intéressant, non ?
La nécessité est mère de créativité, paraît-il…
L’adoption de la loi 106, dite sur les hydrocarbures, fin 2016 couronne un parcours législatif qui réjouit l’Association pétrolière et gazière. En effet, la Loi concernant la mise en œuvre de la Politique énergétique 2030 s’emboîte dans les modifications à la loi sur la qualité de l’environnement (102) et le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection à maints égards, notamment en facilitant la fracturation hydraulique.
La mobilisation fut constante tout au long des processus bidon qui ont jalonné les parcours législatifs ici évoqués, notamment depuis l’épopée du gaz de schiste. La détermination grandissante des citoyen·ne·s et des communautés à défendre concrètement les milieux de vie est palpable, et les années de lutte font mûrir des possibilités nouvelles quant aux tactiques de défense.
Néanmoins, il est d’abord question dans ce texte d’une approche qui pourrait s’apparenter à une forme d’attaque, un appel à concevoir nos propres propositions, des propositions d’envergure et documentées. De magnifiques initiatives se multiplient, des propositions inspirées sont lancées : il n’en tient qu’à nous de bloquer ce que doit et de catalyser ce qu’il faut !