Dossier : Prisons, à l’ombre des regards
Quand l’austérité s’en prend aux détenues
Dès l’annonce du transfert des femmes détenues à la Maison Tanguay vers l’Établissement de détention Leclerc de Laval, en septembre 2015, celles-ci ainsi que diverses intervenantes avaient manifesté leurs vives inquiétudes. Avec raison.
Certes, la Maison Tanguay requérait d’importantes rénovations et les conditions de détention devaient être améliorées. Mais la perspective de se retrouver dans un ancien pénitencier pour hommes à sécurité élevée – qui, de surcroît, avait été fermé en 2012 par le gouvernement Harper pour cause de vétusté – était bien loin de rassurer les détenues. Les femmes incarcérées dans un centre de détention provincial le sont en grande majorité pour de délits mineurs commis en raison de leur situation socioéconomique et la très grande majorité d’entre elles ont été, par le passé, victimes de violences physiques, psychologiques et sexuelles.
À la suite du transfert en février 2016, les témoignages troublants qui commençaient à émerger et le suicide d’une détenue au mois d’avril ont alerté l’opinion publique. Les détenues, titrait Le Devoir, « paient le prix de l’austérité ». Le ministère de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a lui-même déclaré que la décision avait été prise dans un contexte de « rigueur budgétaire ».
Des voix, dont celles de la Ligue des droits et libertés (LDL) et de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), ont dénoncé ce transfert comme une violation des droits des détenues. Comment expliquer cette décision en totale contradiction avec les recommandations de la commission Arbour visant à mettre un terme à la discrimination systémique à l’égard des femmes dans le système carcéral canadien ? En 1996, la juge Louise Arbour, dans le rapport de la Commission d’enquête sur les événements survenus à la prison des femmes de Kingston, faisait en effet état des nombreuses violations du droit des femmes à la dignité et à l’égalité. La juge Arbour soulignait le fait qu’en raison de leur petit nombre, on offrait aux détenues « moins de programmes favorisant leur réinsertion, moins de mesures facilitant le rapprochement familial, moins de services, et qu’on leur imposait des mesures de sécurité trop élevées non adaptées à leur faible degré de dangerosité.
Une situation des plus alarmante
Fin avril 2016, soit près de trois mois après le transfert, les témoignages ont révélé l’ampleur de la catastrophe annoncée. La mixité hommes/femmes à l’Établissement Leclerc contrevient à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations unies ainsi qu’à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Cette mixité est particulièrement difficile à vivre par les femmes qui, dans leur enfance et dans leur vie adulte, ont été victimes d’abus commis par des hommes.
L’architecture sécuritaire, conçue pour des hommes dangereux, est en outre tout à fait inappropriée pour des femmes condamnées à de courtes peines, qui ne présentent pas de risque sécurité et dont plusieurs souffrent de problèmes de santé mentale. On est bien loin de « l’allure familiale » de la Maison Tanguay décrite par diverses intervenantes.
Le changement de l’approche et de la philosophie correctionnelles n’est pas adapté aux besoins particuliers des femmes et est très mal vécu par elles. Peu d’intervenantes de Tanguay les ont suivies à l’Établissement Leclerc, où les agents correctionnels en place, qui avaient toujours travaillé avec des hommes, étaient réticents à la venue des femmes.
Le quotidien des détenues est par ailleurs lourdement affectépar les mesures d’austérité et l’insuffisance du personnel de soutien : difficultés d’accès aux soins médicaux, fouilles à nu fréquentes, confinement en cellule pendant de longues périodes, absence d’activités, annulation des visites.
Une mobilisation et quelques avancées
Devant cette situation inacceptable, la LDL et la FFQ ont entrepris des démarches auprès du ministre de la Sécurité publique pour obtenir l’autorisation de mener une mission d’observation des conditions de détention des femmes à la prison Leclerc.
Cette demande a été refusée de même que celle de la Protectrice du citoyen à mener une enquête systémique sur la situation des femmes incarcérées à l’Établissement Leclerc. Cependant, grâce à une campagne de mobilisation à laquelle ont répondu plus d’une centaine d’organisations québécoises, le ministre Coiteux a décidé en juin 2016 de mettre en place un comité de travail (auquel participe la Société Elizabeth Fry) dont le mandat est de dresser un état de la situation, de faire l’inventaire des solutions à court, moyen et long terme et de faire des recommandations.
Depuis, plusieurs améliorations concrètes ont été apportées en ce qui concerne notamment le confinement en cellule ainsi que l’accès aux soins de santé, aux effets personnels, à la cour extérieure, à la bibliothèque, aux activités et aux programmes.
Cependant, les problèmes majeurs liés à la mixité, à l’architecture sécuritaire ainsi qu’à la culture et à l’approche correctionnelles propres à la prison Leclerc perdurent.
Concernant la mixité, le ministre Coiteux a récemment annoncé que les hommes détenus à l’Établissement Leclerc seraient, d’ici juin 2017, dirigés vers d’autres lieux de détention. Entre-temps, les femmes demeurent exposées à des contacts auditifs et visuels et la possibilité de contact physique est toujours existante. Cette mixité continue d’avoir des impacts sur le droit des femmes (et des hommes) à la jouissance des infrastructures et à leur liberté de mouvement.
Quant à l’architecture des lieux, le fait que les détenues occupent dorénavant un secteur rénové autrefois occupé par les hommes ne réduit pas les restrictions liées à la configuration trop sécuritaire de l’espace.
Enfin, en ce qui concerne la question de la culture et de l’attitude inadaptées des agents, rappelons que c’est toute l’expertise de la Maison Tanguay qui s’est perdue avec le transfert. Les quelques heures de formation offertes à une partie des agents de la prison Leclerc ne répondent pas aux exigences élaborées depuis le rapport Arbour, soit une formation d’au moins dix jours pour l’acquisition des attitudes, connaissances et expertises minimales.
Consulter avant de décider
Le ministre Coiteux a souvent déclaré que la mixité des détenu·e·s n’était pas une solution et que l’Établissement de détention Leclerc ne convenait pas aux femmes. Le comité de travail se penche sur divers modèles et le ministre a parlé de la construction d’une nouvelle prison. Ne serait-il pas opportun de mener des consultations avant que la décision ne soit définitivement arrêtée ?