Mémoire des luttes
Léa Roback et la Maison Parent-Roback
En tant que professeure de droit du travail, je suis toujours étonnée de constater que mes étudiant·e·s connaissent peu ou prou les figures emblématiques des luttes sociales et du travail au Québec. Pour cette raison, le collectif de rédaction d’ À bâbord ! a décidé de réanimer la rubrique moribonde « Mémoire des luttes ». Nous avons choisi pour ce numéro de rendre hommage à Mme Léa Roback (1903-2000), une féministe de la première heure, une syndicaliste, une militante communiste, une pionnière, une battante.
Juive polonaise d’origine, née à Montréal, Léa Roback est vite sensibilisée aux difficultés vécues par la classe ouvrière. Très jeune, elle travaille dur dans une entreprise de nettoyage de vêtements, la British American Dyeworks, à raison de 50 heures de travail par semaine pour un salaire de 8$, sans oublier les conditions difficiles du métier.
Communiste et syndicaliste
Léa mène sa barque entre quelques grandes villes : Montréal, Grenoble, Berlin et New York. Elle tire avantage de sa connaissance de plusieurs langues (yiddish, français, allemand et anglais) pour s’émanciper. En Europe, elle fera l’apprentissage de la littérature, la découverte du théâtre ouvrier, du Parti communiste, mais aussi du fascisme, qui la poussera à rentrer à Montréal.
Dès son retour, elle intégrera le Parti communiste du Canada. Quelques années plus tard, elle soutiendra le candidat Fred Rose, qui sera le premier député communiste à la Chambre des communes du Canada. En parallèle, elle travaille au sein de la Young Women’s Hebrew Association, un espace politique par et pour les femmes juives, et dirige la première librairie marxiste de Montréal, la Modern Book Shop. Elle s’impliquera aussi dans le volet francophone de Voice of Women, une organisation canadienne opposée à la guerre et pour le désarmement.
Plus tard, elle militera au sein de la campagne de syndicalisation de l’industrie du vêtement : elle dirige avec succès une grève de 5000 ouvrières en 1937, rebaptisée la grève des midinettes. Cet impressionnant mouvement constitue l’une des premières et des plus marquantes batailles syndicales pour l’amélioration des conditions de travail des femmes au Canada. Une convention collective est très vite signée. Malheureusement, moins d’un an plus tard, à la suite de la purge anticommuniste, elle sera mise de côté par le patronat. Elle ne se décourage pas pour autant et poursuit la syndicalisation d’usines où travaillent principalement des femmes.
Léa Roback était infatigable. Toute sa vie, elle a lutté contre le fascisme, l’antisémitisme, l’apartheid et toute autre forme de discriminations. Elle a également défendu le droit à l’éducation – l’un des droits qu’elle chérissait le plus – ainsi que le droit à l’avortement, le droit de vote des femmes et le droit à l’équité salariale. Mme Roback a toujours mobilisé la population à la base, tant sur le plan politique que sur le plan syndical. Elle a refusé de nombreuses fois d’occuper des fonctions permanentes syndicales, préférant rester dans le feu de l’action, auprès des camarades militantes.
Maison Parent-Roback
En 1986, Relais-femmes a mis en place le « Groupe des 13 », qui réunit les principaux regroupements provinciaux travaillant sur les enjeux liés à la condition féminine. Au milieu des années 1990, les membres du Groupe des 13 envisagent d’acheter une bâtisse. Pour faire partie de l’aventure, il faut absolument être un organisme d’action communautaire autonome engagé dans la défense des droits des femmes. Ce projet tient pour l’essentiel à deux raisons. Cela permet de réduire les coûts de location des locaux tout en gagnant en efficacité d’action, dans la mesure où tous et toutes seraient sous le même toit. Il sera dès lors plus facile pour les organismes de s’entraider dans leurs actions et événements, par exemple la Marche mondiale des femmes, et renforcerait une force commune en faveur de la condition féminine.
Dès lors, il fallait trouver un nom à ce lieu et, très vite, l’appellation « Maison Parent-Roback » s’est imposée pour plusieurs raisons. Léa Roback et Madeleine Parent, grandes camarades de longue date, sont deux féministestrès affirmées publiquement, ce qui faisait grincer bien des dents à l’époque. Elles se sont toutes deux impliquées syndicalement pour la défense des conditions de travail des femmes. Aussi, elles étaient de confessions religieuses différentes. Enfin, elles sont toujours restées actives dans les mouvements populaires.
La Maison Parent-Roback doit déménager prochainement, principalement en raison de la dégradation des lieux au fil du temps, de sa situation géographique et de la hausse du loyer. Les regroupements voudraient être plus accessibles physiquement, et même, peut-être, s’ouvrir à d’autres groupes d’action communautaire autonome qui n’ont pas la condition féminine comme priorité, mais la lutte à la pauvreté prise globalement.
La Maison et ses regroupements font les frais de la décennie Harper et de l’actuel gouvernement Couillard, qui ont coupé le montant de leurs subventions. Le Parti libéral du Québec continue de le faire allègrement. Dans la logique de ce gouvernement, l’égalité homme-femme étant déjà atteinte, il n’y a pas d’intérêt à poursuivre les investissements en condition féminine. Concrètement, certains organismes se voient donc obligés de diminuer leurs heures d’ouverture alors que les besoins des Québécoises demeurent criants (santé mentale, violence, immigration, pauvreté, santé reproductive, accès au travail, etc.) et ne cessent de s’accroître en cette ère d’austérité budgétaire.
Mme Roback était malade lors de l’inauguration de la Maison. Elle n’a pu prendre part aux activités autant qu’elle l’aurait souhaité, mais elle était heureuse que les dossiers de défense des droits des femmes soient prioritaires pour les membres de la Maison Parent-Roback, elle qui a toujours défendu haut et fort l’émancipation des femmes.
Longue vie à la Maison Parent-Roback en d’autres lieux !