Éditorial du numéro 88
Du logement
Le numéro 88 et son dossier Cultiver la résistance agricole seront lancés le 26 juin, 16h, en partenariat avec la revue Relations ! En raison de la pluie, ça se passera en ligne. Tous les détails ici !
La crise du logement est un squelette qui ressurgit régulièrement du placard et illustre de manière flagrante la lenteur des politiques de l’État en la matière. Malgré la Stratégie nationale du logement conclue entre Ottawa et Québec en novembre 2017, l’offre de logements ne parvient pas à répondre aux besoins de loyers décents.
En plus d’être un droit et un besoin de première nécessité, à l’instar de l’alimentation, le logement joue dans notre vie un rôle social, psychologique et symbolique de grande importance : c’est le lieu où l’on se met à l’abri, où l’on mange, où l’on écoute de la musique ou, parfois, le silence…
L’État devrait donc assurer à toutes et tous un logement abordable. Mais en ne s’attaquant pas à la spéculation et en soutenant le droit des amis des partis au pouvoir de s’enrichir à outrance grâce à la propriété privée, il s’égare et prive chaque année des centaines de personnes d’un foyer. Plus que du saupoudrage (comme celui annoncé récemment, destiné à rénover 500 logements), c’est une politique du logement digne de ce nom qui doit être pensée et mise en application.
Ce déficit de logements oblige parfois les locataires à se tourner vers des appartements inadéquats ou insalubres. Mais il y a des conséquences à être mal logé : abandons scolaires, perte d’emploi, problèmes de santé physique et mentale, augmentation de l’itinérance… À ce titre, le campement Notre-Dame, délogé par la force en octobre 2020, et celui du boisé Steinberg, démantelé le 4 mai dernier, montrent que des citoyennes et citoyens vivent une pression grave qui peut les obliger à s’installer dehors en attendant mieux.
Or, le fractionnement des immeubles à logement multiples en condos ou leur transformation en maisons unifamiliales, les reprises de logements frauduleuses permettant l’éviction des locataires, tristement connues désormais sous la détestable appellation de « rénovictions », ou encore l’occupation de nombreux loyers par la plateforme Airbnb sont autant de tactiques induites par le libre marché, agissant de manière négative sur l’abordabilité du logement et contribuant à l’embourgeoisement dévastateur qui transforme certains quartiers de Montréal. De plus, des carences dans les réglementations, comme l’absence d’un contrôle des loyers, ouvrent grand la porte aux propriétaires voulant imposer des hausses indues.
Le faible taux d’inoccupation des logements dans plusieurs villes du Québec n’est pas étranger à une tendance générale à la diminution du nombre des espaces de vie. D’un autre côté, une quantité importante de grands logements sont scindés en deux ou en trois, ce qui multiplie les revenus de location pour les propriétaires. Ce morcellement, s’il accroît le nombre de loyers, va à l’encontre des nécessités des familles qui ne sont pas en mesure de devenir propriétaires.
Les maisons de chambres comptent aussi parmi les options sur lesquelles se rabattent les personnes à la recherche de loyers. Mais un habitat de petite taille comporte des nuisances : la promiscuité et l’exiguïté de l’espace vital créent du stress ; la réduction du lieu de vie à l’échelle d’une cellule transforme notre rapport à l’espace. Le logement s’apparente ainsi à un lieu d’enfermement à connotation carcérale, posant de réelles difficultés d’adaptation à l’espace. Cette solution ne peut que rarement constituer un mode de vie pérenne.
Dans le passé, la difficulté à trouver un logement a fait éclore diverses stratégies d’appropriation de l’espace résidentiel. En 2001, alors que sévissait déjà une crise du logement, des personnes sans-logis et sans-emploi ont opéré une véritable transgression pour se doter d’un toit. Le squat Préfontaine et quelques autres du genre ont suscité des expériences de partage communautaire et de résistance en affirmant la légitimité de l’acte d’occupation illégal. La loi doit permettre de se réapproprier les habitations et les bâtiments sciemment abandonnés par leurs propriétaires. Les belles utopies que représentaient ces pratiques ont cédé la place à des actions plus ciblées et plus brèves, faisant office de moyens de pression pour faire respecter le droit au logement.
Depuis l’adoption de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme en 2017, les villes sont censées disposer d’une plus grande marge de manœuvre pour créer du logement abordable ou familial. Plutôt que d’attendre des décisions prises trop loin des réalités de terrain, la solution pourrait-elle être d’accroître les responsabilités municipales ? Le municipalisme et les politiques de proximité sauraient sans doute mieux relever de tels défis, tout en gardant les spéculateurs dans la mire.
Contrairement à ce qu’affirmait un jovialiste représentant de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), nul n’a besoin d’inventer une crise du logement à des fins électoralistes ou activistes ; celle-ci, majeure, se porte malheureusement très bien, et ce, depuis plusieurs décennies.