Dossier : Cultiver la résistance agricole
L’agriculture industrielle face aux enjeux environnementaux
L’émergence de l’agriculture industrielle a entraîné de profonds changements dans les relations de l’être humain avec la nature. À une approche paysanne contextualisée, c’est-à-dire privilégiant l’adaptation aux spécificités d’un terroir donné, a succédé un système uniforme, hautement artificialisé, qui a bien peu à voir avec les équilibres écosystémiques naturels.
L’accent disproportionné mis sur l’obtention d’un rendement maximal sur une surface donnée, pour un très court laps de temps – une saison de culture – et pour un unique produit agricole, a entraîné une dérive progressive qui a fini par avoir un impact majeur sur les agroécosystèmes ainsi que sur les écosystèmes naturels.
Au fil des ans, pour obtenir le rendement désiré, on s’est mis à recourir à de nouvelles variétés de plantes cultivées qui n’étaient toutefois performantes qu’en contexte étroitement contrôlé, notamment grâce à l’irrigation et à la fertilisation. Or – cela tombait bien –, il y avait des cours d’eau et des nappes aquifères à exploiter, dont on ne s’inquiétait pas alors de l’épuisement éventuel. On pouvait aussi produire chimiquement – à grand renfort d’énergie –, certains des éléments nutritifs dont la plante cultivée avait besoin. On faisait encore peu de cas de toute la complexité des interrelations qu’on trouve dans un sol, et qui font que sa fertilité ne se résume pas à une simple addition d’éléments chimiques.
L’adaptation imparfaite des variétés dites améliorées aux terroirs diversifiés dans lesquels on cherchait à les cultiver a eu une autre conséquence importante : ces variétés n’arrivaient pas à résister convenablement à certains ravageurs des cultures, et elles supportaient fort mal la concurrence exercée par des plantes adventices qualifiées de mauvaises herbes. Puisque la chimie connaissait ses heures de gloire, on a cependant pu développer des fongicides pour lutter contre les maladies fongiques, des insecticides pour détruire les insectes ravageurs et des herbicides pour tuer les adventices. Bien sûr, ces produits chimiques n’étaient pas d’une précision parfaite. Ils tuaient aussi des organismes fort utiles. La biodiversité – celle du système de production agricole, dont ont été exclues les associations culturales, comme celle des écosystèmes – en a pris pour son rhume. C’est sans compter les problèmes de santé humaine provoqués par l’usage des pesticides. Mais comme on estimait ne pas avoir le choix, on a considéré de telles dérives comme des dommages collatéraux un peu tristes, certes, mais inévitables.
Des rendements coûteux
On l’aura compris : au cours des dernières décennies, on a assisté à une artificialisation croissante de notre agriculture, qui a fini par avoir des effets qu’il faut bien qualifier de désastreux sur notre environnement. Les sols cultivés, soumis à d’intenses pressions, se dégradent. Or, ce n’est pas seulement leur fertilité à court terme qui est en jeu, mais l’ensemble de leurs caractéristiques physiques et chimiques et, par-delà, toute leur activité biologique, qui est à la base de leur santé et de leur capacité à assurer une production agricole soutenable. On assiste également à une détérioration de la qualité et de la disponibilité de l’eau et à une érosion de la biodiversité, dans un contexte de changements climatiques survenant sur fond de crise énergétique. Au-delà de la production agricole elle-même, le système alimentaire dans son entier, en raison notamment de sa haute consommation d’énergie et de ses émissions élevées de gaz à effet de serre, affecte lui aussi l’environnement.
Autrement dit, les externalités environnementales de notre système alimentaire sont nombreuses et n’affectent pas seulement la santé humaine. Elles menacent les fondements mêmes d’une agriculture soutenable et, par-delà, les écosystèmes de la planète. Il n’est donc pas étonnant que de plus en plus d’acteurs en appellent à une véritable révolution dans nos pratiques agricoles.