Dossier : Cultiver la résistance agricole
Pesticides : le diagnostic n’est pas fait
Longtemps, l’agriculture québécoise s’est développée sans que les citoyen·ne·s n’aient un mot à dire, notamment parce que les autorités s’en remettaient aux organisations directement concernées, fonctionnant pour la plupart en vase clos, mais aussi par manque d’intérêt de la part de la société civile.
Or, l’agriculture est un bien public, mais des décennies de sous-traitance jalonnées de décisions politiques aux visées économiques libérales ont produit une agriculture qui ne ressemble guère au type d’agriculture souhaitée par la population. Jusqu’à maintenant, les enjeux agricoles n’occupaient pas l’avant-scène des campagnes électorales et l’idéologie dominante chez les décideur·euse·s, peu importe le parti au pouvoir, se traduisait entre autres par une gestion de l’agriculture de type « partenariat public-privé ». L’agriculture était considérée principalement comme un moteur de développement – un mot dont le sens est complètement perverti – économique traditionnel, soumis aux dictats d’industriels et de commerçants. Or, cette façon de faire a conduit à des abus. Le développement durable en agriculture est un de ces enjeux dont les implications sociales, environnementales et même économiques interdisent les compromis et compromissions avec les intérêts commerciaux.
De l’ingérence aux conflits d’intérêts
Ainsi, la détermination des recommandations pour la fertilisation minérale des cultures était, jusqu’en 2020, confiée à un comité où les compagnies d’engrais étaient bien représentées et pesaient lourd. Il s’agit d’une situation unique en Amérique du Nord. Faisant fi de son propre code de déontologie, l’Ordre des agronomes (OAQ) qui, comme tous les ordres professionnels, a pour mission la défense de l’intérêt public, permettait aux agronomes des compagnies privées d’y siéger. L’OAQ élaborait même ses positions autant sur les OGM que sur les pesticides en formant des groupes de travail où il invitait des agronomes à l’emploi des sociétés impliquées dans le commerce de ces intrants. Sous prétexte de s’assurer de l’arrimage des orientations de recherche avec les besoins de l’industrie agricole, on a remis le contrôle de centres de recherche, comme le Centre de recherche sur les grains (CÉROM), à des administrateurs et administratrices dont la compétence dans le domaine de la recherche cédait le pas aux intérêts des organisations qu’ils et elles représentaient, notamment Sollio Agriculture (principal distributeur de pesticides au Québec) et la fédération spécialisée de l’UPA « Les Producteurs de grains du Québec ».
Réduction des pesticides : trente ans d’échecs
Cela peut en surprendre plusieurs, mais il y a longtemps que les professionnel·le·s du MAPAQ travaillent à réduire l’usage des pesticides. Le MAPAQ et l’UPA s’étaient entendues dès 1992 (!) pour s’engager à réduire de 50 % l’usage de pesticides pour l’an 2000 dans le cadre de ce qui était connu alors sous le vocable de « Stratégie phytosanitaire ». Échec après échec, les mêmes « partenaires » ont récidivé lors de trois moutures successives de ces plans de réduction, sans qu’aucun effort de diagnostic aussi minime soit-il n’ait été fait pour comprendre ce qui faisait défaut. Après 30 ans, aucune réduction n’a été atteinte. Le manque de ressources et surtout de ressources humaines pour faire connaître et adopter des méthodes alternatives aux pesticides, de même que les nombreuses ingérences des intérêts commerciaux et corporatistes autant en recherche qu’en service-conseil (c’est-à-dire dans tout ce qui est en amont de la détermination des besoins du producteur) sont les deux principales causes de ces échecs.
Même la fameuse « Commission sur les pesticides », dotée d’un mandat d’initiative de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN), qui devait enfin apporter un éclairage intègre sur la question, a été le théâtre d’opérations de lobbying, notamment de la part de Sollio Agriculture. On en atteint un point où des recommandations semblent sorties de nulle part, comme celle qui favorise une implication plus grande encore de l’industrie dans la recherche d’intérêt public sur les pesticides, à contresens des mémoires déposés. C’est ce qui m’a fait dire, en m’adressant entre autres aux groupes de pression environnementaux : à quoi bon s’en prendre à Santé Canada, qui est chargée de l’homologation des pesticides, et aux Monsanto et Bayer de ce monde, si on n’est pas aptes à mettre de l’ordre dans notre propre cuisine ?