Norme sur l’étiquetage des OGM
Les aveugles et l’éléphant
par Richard Rothschild
Alors que la santé constitue la priorité de la population, à l’heure où le moindre dérèglement biologique (SRAS, vache folle, grippe aviaire, etc.) risque d’entraîner des pandémies mondiales dévastatrices, les apprentis-sorciers favorables aux OGM continuent intensément leur lobby pour faire reconnaître la légitimité et la légalité de leurs produits modifiés. Et cela, sans qu’on en connaisse les impacts négatifs à moyen et à long termes sur la santé publique. Voici deux cas qui illustrent bien l’irresponsabilité de nos dirigeants pour faciliter l’intrusion à grande échelle des OGM dans notre mode de vie. Comment expliquer cette attitude complaisante et négligente de la part de nos autorités chargées de veiller au bien-être collectif, sinon par les profits exhorbitants que peut générer cette industrie du tripotage génétique ?
On demande à quatre experts différents d’analyser un même produit (fécule de pomme de terre) et d’en rédiger une étiquette appropriée pour sa commercialisation.
François prend la fécule de pomme de terre d’un coffre, remarque ses caractéristiques, remet l’aliment et entreprend d’élaborer une étiquette qui se conforme à la proposition de Norme nationale sur l’étiquetage volontaire visant les aliments issus ou non du génie génétique [Can/ONGC-32.315-2004]. Francine reprend le même échantillon de fécule, prend note de ses particularités, le remet et retourne à son bureau avec le même but que son collègue. À peine a-t-elle refermé sa porte que Frank fait le même exercice. Puis, le croiriez-vous, France répète aussi la démarche !
L’étiquette de François indique « Cet aliment est issu du génie génétique ». Il s’est reporté aux paragraphes 5.1.1 et 5.1.2 de la Norme. Sa camarade, après avoir vérifié le produit, propose l’allégation « Cette fécule est issue du génie génétique. Elle ne contient pas de matériel modifié par génie génétique ». Bien que ce libellé pourrait embrouiller le consommateur, Francine s’en est tenue à ce que lui permet le paragraphe 5.3.1.e de la Norme.
La fécule avait été transformée à partir de pommes de terre entreposées dans un autre coffre. Selon les échantillons prélevés, à peu près 95 % de ces tubercules sont modifiés par génie génétique. Par « à peu près », je veux dire parfois un peu plus, parfois un peu moins. Dans ce cas, à la différence de ses collègues, Frank opte pour « un petit brin au-dessous ». Ainsi formule-t-il l’allégation « Mélange de produits issus et non issus du génie génétique (g.g.) », l’appellation approuvée pour les aliments dont les sources transgéniques se situent entre 5 % et 95 % (parag. 5.3.1. de la Norme). Quant à la clause « Ne contient pas de matériel modifié par g.g. », et bien, on peut la laisser de côté ou la retenir, entendu que c’est un fait de notre fécule de pommes de terre. Sur quoi le quatrième membre de l’équipe, France, plus golfeuse que statisticienne, rappelle aux trois autres que « la Norme n’exige pas que l’on s’exprime sur les OGM ».
Donc, ils se décident à vendre la fécule, dont toutes les unités se ressemblent en matière de qualité et de caractéristiques, sous cinq étiquettes : 1- produit issu du g.g. ; 2- produit issu du g.g., ne contient pas de matériel modifié ; 3- mélange de produits issus et non issus du g.g. ; 4- mélange de produits issus et non issus du g.g., ne contient pas de matériel modifié ; 5- vide, le grand silence en ce qui concerne les OGM.
Or, l’introduction de la Norme nationale fait valoir que le but de l’exercice est « d’aider les consommateurs à faire des choix éclairés ». Toutefois, puisqu’un seul et même produit peut porter plusieurs costumes distincts, la Norme ne tient point sa promesse. Face à son objectif autoproclamé, elle est donc inefficace, sans parler de son éthique déplorable.
Vous protestez que notre exemple est un cas rarissime ? Qu’il ne soutient pas une telle critique générale ? Vous avez raison. Mais attendez : dans la plupart des cas, le choix d’allégations pour un seul aliment se fera entre trois possibilités, soit la 1, la 2 et la 5. Et il faut souligner qu’il y a toujours, sans exception, au moins deux étiquettes possibles. Demandez à votre partenaire de golf.
Bref, les gens ne sont pas plus en mesure de faire un choix éclairé. Exprimée d’une manière abstraite, la Norme stipule seulement ce que le vendeur peut déclarer et ce qu’il ne doit pas déclarer. Une formule éprouvée pour ne pas livrer aux consommateurs les informations requises.
Dans presque toutes les situations, de l’information vérifiée sur les origines et les composants d’un aliment est disponible. Cependant, d’une manière perverse, la Norme ne permet toujours pas que ces renseignements soient mis en lumière. Comment ? Les paragraphes 6.1.2 et B2.5.1 prescrivent que si un aliment est obtenu de sources dont moins de 5 % sont issus du g.g., alors on peut l’étiqueter « n’est pas issu du génie génétique ». Toutefois, la Norme ne permet pas au vendeur d’ajouter à l’étiquette que l’aliment ne contient aucune substance – ne laisse aucune trace (protéine, ADN) – modifiée par génie génétique, et ce même si l’absence de matériel modifié est prouvée. Ainsi, à cause de ces 5 % de contamination permise – surnommée « matériel adventice » – il se peut que cet aliment contienne effectivement des substances modifiées. Néanmoins, la Norme interdit au vendeur de déclarer cette composition transgénique. À titre de comparaison, en Europe, la contamination maximale permise est de 0,9 %.
En général, cette Norme nationale ne s’applique pas à la composition des aliments. Les normes d’étiquetage visant la valeur nutritive et la composition des aliments sont soumises à la Loi et au Règlement sur les aliments et les drogues ainsi qu’à la Loi et au Règlement sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation. Or, alors que la nature et la composition d’un produit doivent être affichées, il s’avère que « les produits préemballés qui sont des fruits ou des légumes frais et qui sont emballés dans une enveloppe ou une bande… sont exemptés » de cette disposition. Mangez-vous des patates ou, dans un avenir rapproché, mangerez-vous des bananes génétiquement modifiées ? Qui sait ?
Par conséquent, la Norme impose un régime de « choix » selon lequel le client, en choisissant un aliment dit « issu du g.g. », pourrait manger un repas ne comportant aucune substance transgénique, alors qu’en choisissant l’appellation « n’est pas issu du génie génétique » il se pourrait très bien qu’il ait le bec plein de substances génétiquement modifiées. Et le brocoli ? Tant pis !
Avant que la Norme n’entre en vigueur, la Chambre des Communes se prononcera à ce sujet. Savez-vous qui est votre député ? Mais attention ! Il se peut que l’affaire soit plus complexe que le simple fait d’insister pour une norme honnête qui tient sa promesse envers les consommateurs. Selon The Guardian [R-U] du 27 avril 2004, « … les États-Unis… sont résolus à porter plainte [contre l’Union européenne devant l’OMC] afin d’interdire que les aliments issus du génie génétique soient étiquetés et d’empêcher que devienne obligatoire la traçabilité des cultures d’OGM » (trad. libre). Cette affirmation, à certains égards, est regrettable. Néanmoins, elle a une nette crédibilité. On peut alors avancer une hypothèse : notre Norme nationale est plutôt continentale.