Henri Laurens
L’Orient arabe à l’heure américaine. De la guerre du Golfe à la guerre d’Irak
lu par Rachad Antonius
Henri Laurens, L’Orient arabe à l’heure américaine. De la guerre du Golfe à la guerre d’Irak, Paris, Armand Colin, 2004
Ce livre se veut, selon les termes de l’auteur, un travail d’analyste et « d’annaliste », qui fait la chronique détaillée tant de ce qui se passe sur le terrain que des tractations diplomatiques durant les quinze dernières années. L’ouvrage est divisé en deux parties : d’abord la période 1991-1999, qui voit se structurer un ordre régional défini par la crise irakienne et par les blocages du processus de paix en Palestine. La deuxième partie identifie ce qui caractérise le Proche-Orient au début du XXIe siècle, les points tournants étant constitués par une escalade de la violence en Palestine, par les attaques du 11 septembre 2001, et surtout par une situation où c’est le nouvel empire américain qui définit les termes du débat (avec les conséquences désastreuses que l’on observe actuellement). La démarche est chronologique et englobe à chaque étape des problématiques spécifiques (tel pays), bien situées dans une vue d’ensemble de tout le Proche-Orient.
La première partie est écrite en termes presque télégraphiques et rappelle une foule de données empiriques concernant les points névralgiques de la région : l’Irak, le Koweït, le conflit Israël-Palestine et le processus d’Oslo, et enfin le Liban. On y trouve une analyse minutieuse des développements du processus d’Oslo. L’auteur inclut de longs extraits de certains documents officiels qui sont fort éclairants. Et même si l’analyse de la politique israélienne de colonisation des territoires palestiniens est absente, on trouve quand même des statistiques essentielles concernant le nombre de colons, les terres confisquées, les victimes civiles, etc. Ainsi, cet ouvrage évite heureusement un piège dans lequel tombent nombre de spécialistes des relations internationales : celui d’analyser les processus diplomatiques sans les mettre en lien avec l’enjeu fondamental du conflit, qui consiste pour Israël à prendre le contrôle effectif des territoires palestiniens pour le bénéfice des Juifs, qu’ils soient Israéliens ou pas.
La deuxième partie examine un à un les blocages dans l’ensemble de la région, en montrant comment les successions de chefs d’État ont constitué des continuités plutôt que des ruptures. La reprise des négociations israélo-palestiniennes et leur échec sont passés au peigne fin, et cette analyse permet de comprendre « l’enfermement dans la violence et l’engrenage des représailles » qui voit les attentats suicides se multiplier en Palestine et ailleurs, pour culminer avec les attaques du 11 septembre, elles-mêmes suivies d’autres violences en Palestine et en Israël. Les deux derniers chapitres discutent de l’application concrète de la politique américaine visant à remodeler le Proche-Orient et à lutter contre le terrorisme.
Destiné à un public plutôt informé ou qui veut le devenir, le livre est dense. L’évolution de la situation est observée dans ce qu’elle a d’essentiel, mais les détails empiriques sont rarement appuyés par des références, l’accent étant mis sur leur signification. Par contre, ce qui touche les conséquences de l’occupation de la Palestine (nombre de victimes civiles par exemple) est appuyé par des références aux enquêtes de B’Tselem ou d’autres sources dont la crédibilité est bien établie.
L’ouvrage sera d’un grand intérêt pour ceux qui suivent la situation au Proche-Orient et qui veulent comprendre la logique de son évolution. Mais il faudra le lire avec discipline et concentration, car l’auteur a privilégié la concision plutôt que la facilité de lecture…