Commercer autrement ?
Les systèmes d’échange locaux
par Christian Brouillard
Alors que le capitalisme contemporain semble entré dans une ère où les marchés transnationaux et le commerce à large échelle sont hégémoniques, des communautés locales, à travers la planète, tentent d’expérimenter des formes alternatives d’échanges. On peut évoquer ici les pratiques du commerce équitable ou alors celles des Systèmes d’échanges locaux, les SEL. Nous nous attarderons plus précisément sur ces derniers.
Initiés au Canada en 1983 , les SEL ont connu par la suite une extension importante en Angleterre, puis dans le reste de l’Europe. On estimait que seulement pour l’année 1994, il naissait de 8 à 10 SEL chaque mois au Canada, en Angleterre, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Irlande, etc. Ils dépassent actuellement, de par le monde, le millier, certains disparaissant assez vite tandis que d’autres s’étendent et essaiment.
La création d’un SEL répond d’abord et avant tout à des considérations pratiques plus qu’à une vision théorique. Il s’agit, souvent, de rationaliser le troc local et tirer ainsi parti de nombreux savoir-faire inemployés dans des régions dévastées économiquement par le capital. Il y a aussi tout un aspect « social ». Florence Prick, initiatrice d’un SEL (Ci-Ro-SEL) dans la région de Ciney-Rochefort en Belgique, nous explique ainsi que « notre envie de départ était à la fois de stimuler l’entraide et de favoriser la création de liens sociaux. Après 5 mois, une trentaine de ménages sont inscrits et les échanges sont dynamiques entre certains, plus lents à se mettre en place chez d’autres. C’est pour cela que nous organiserons prochainement – et continuerons à organiser – des fêtes ou activités collectives qui sont autant d’occasions de rencontres et d’incitations aux échanges ».
Mais quels sont donc les principes de fonctionnement d’un SEL ? D’abord, les personnes impliquées évaluent elles-mêmes les échanges de service ; il n’y a pas d’obligation d’accomplir des transactions ; le SEL tient la comptabilité des échanges en terme de crédit et de débit qui sont évalués selon une unité de compte (équivalant à la monnaie) définie localement ; le système diffuse les offres de service mais n’est pas responsable de la qualité de ceux-ci ou de la compétence des gens qui les proposent et, enfin, dans le règlement des problèmes de fonctionnement, on met fortement l’accent sur la transparence et la participation collective.
Enraciné dans le local, un SEL n’a pas tendance à prendre une expansion territoriale. Florence Prick : « Pour l’avenir, nous espérons accroître le nombre de membres (ce qui augmente les compétences disponibles et facilite les échanges) mais certainement pas accroître le territoire. En effet, pour fonctionner, un SEL a besoin de rester “local” : c’est ce qui permet de réaliser les échanges – on ne fait pas 100 km pour faire garder ses enfants ou pour se faire couper les cheveux – et c’est ce qui garantit une nécessaire autorégulation. »
Cet enracinement local constitue la force et la faiblesse des SEL. Force, car c’est une pratique qui « colle » au vécu quotidien des gens et qui permet de développer une certaine autonomie individuelle et collective. Paradoxalement, cette force peut se révéler une faiblesse, car confiné dans les limites du localisme, on court le risque de perdre de vue les mécanismes globaux qui façonnent l’économie à tous les niveaux. À cette marginalisation spatiale, si on peut dire, s’ajoute aussi le fait que les SEL oeuvrent pour l’essentiel dans la sphère des échanges sans véritables liens avec des formes alternatives de production. Cependant, comme toute expérimentation sociale, rien n’est joué d’avance et on peut se permettre de rêver d’une jonction entre les pratiques autogestionnaires dans le domaine productif et les formes alternatives d’échange et cela, sur une large échelle.
SEL’idaires : pour changer, échangeons !