Éditorial No 6
Le pari d’À bâbord !
La nécessité d’une revue de gauche indépendante
Septembre 2004 : voilà une année entière que vogue À bâbord !, contre vents et marées, sur les mers hasardeuses de l’information alternative québécoise. Dans ce domaine, une année d’existence, ce n’est pas rien et il faut souligner cette réussite !
S’il reste beaucoup à faire et bien des choses à améliorer, nous sommes fiers d’avoir pu garder le cap à gauche pendant ces douze derniers mois, entraînant dans notre sillage toujours plus de lecteurs et d’abonnés et, avec eux, une flopée de lettres d’encouragements et d’appui qui nous stimulent à aller plus loin.
On pourrait croire qu’à l’heure de la société des spectacles, notre apport ne pèse pas lourd dans la balance médiatique. Il faut cependant reconnaître que la force d’impact d’une idée ne se mesure pas uniquement à la puissance quantitative des médias qui s’en font l’écho, mais aussi à l’ancrage de cette idée dans un courant libérateur. Ce qui est le cas aujourd’hui de la pensée progressiste qui rejoint les aspirations de renouveau d’une grande partie de la population du Québec. Il s’agit de donner à ces aspirations une expression et une alternative réaliste. On le sait, au Québec, 97 % du marché de l’information écrite et quotidienne sont monopolisés par seulement deux conglomérats de droite, Quebecor et Gesca, qui ne cessent d’accroître leur domination à mesure que s’accentue la concentration de la presse.
À l’inverse, il faut bien évoquer le funeste sort de la revue Recto-Verso qui, tant par sa longévité (depuis 1959) que par son fort tirage (85 000 exemplaires), était devenue le symbole d’une presse alternative et professionnelle. Après avoir été privée par Patrimoine Canada d’une subvention annuelle de 30 000 $, elle s’est vu obligée de fermer ses portes pour une dette de 200 000 $, somme qui ferait mourir de rire n’importe quel magnat de presse, Pierre-Karl Péladeau et Conrad Black en tête ! Pour nous, il n’y a pas matière à rire, car 200 000 $ est très exactement la somme que le même organisme fédéral continue de verser annuellement à la revue MacLean’s qui, soulignons-le, n’est pas le seul périodique de masse à profiter ainsi des largesses fédérales. Le gouvernement canadien soutient financièrement des publications déjà prospères, lesquelles augmentent ainsi leurs profits à même les fonds publics, pendant qu’il laisse mourir des publications alternatives déjà rares. Il y a là détournement de mandat et de fonds publics.
Alors que la gauche québécoise semble reprendre du poil de la bête et tend à se regrouper, on constate qu’elle ne dispose paradoxalement d’aucun organe de masse, hebdomadaire ou quotidien, pour faire connaître son point de vue à l’ensemble de la société, comme cela se passe dans plusieurs pays européens.
On n’en sortira pas : en ces années de montée de la droite, il y a aussi une bataille des idées à mener, une bataille que la gauche doit et peut gagner. Bien sûr l’État devrait pouvoir fournir, comme l’a déjà demandé à la ministre Beauchamp, un regroupement de médias alternatifs et indépendants, « un fonds d’aide aux médias indépendants » pour leur permettre de rester à flot. Mais il reste que nous devons d’abord savoir compter sur nos propres moyens.
Pourquoi dès lors, les syndicats du Québec n’y mettraient-ils pas du leur en s’alliant avec ceux et celles qui oeuvrent dans la presse alternative ? En tant que fiduciaires de l’argent des travailleurs, un de leurs principaux rôles est de contribuer à la production et à la diffusion d’un contre-savoir à opposer au savoir dominant. Et cela, au-delà de leur membership immédiat.
En attendant, À bâbord ! survit avec les moyens du bord : collaboratrices et collaborateurs travaillant bénévolement. Cette générosité n’exclut pourtant pas la nécessité de disposer des sommes suffisantes pour produire la revue. Sans compromission quant au contenu et à la publicité, nous pensons que notre plus important soutien devrait venir de nos ventes. Pour ce faire, nous lançons un appel aux organisations syndicales et de la gauche sociale pour souscrire des abonnements groupés ou acheter de la publicité dans nos pages. Nous continuerons ainsi de contribuer au développement des idées progressistes au Québec et à contrer la pensée unique.