Éditorial du numéro 100
Pour la pérennité des revues indépendantes !
Numéro en kiosque le 24 juin
La revue À bâbord ! a eu 20 ans au mois d’octobre 2023. Après cent numéros, la réussite de ce projet collectif est le résultat du travail acharné de ses membres pour offrir une plateforme qui fait écho aux actions collectives ainsi que pour organiser une riposte au capitalisme et aux multiples formes d’oppression qui l’accompagnent. Dans un contexte toujours difficile pour les revues indépendantes et autogérées, nous sommes fièr·es – et un peu surpris·es nous-mêmes – de tenir le fort depuis si longtemps.
L’importance des médias critiques alternatifs pour la santé de notre démocratie n’est cependant plus à démontrer. Devant les monopoles médiatiques qui tendent à uniformiser les discours politiques dans l’espace public, il est primordial d’avoir accès collectivement à une information offrant d’autres formes d’analyses et permettant d’alimenter la critique du système actuel et des inégalités qu’il génère.
Non seulement À bâbord ! propose des contenus différents, mais aussi un mode de fonctionnement unique : sans hiérarchie, sans rédacteur ou rédactrice en chef, toutes les grandes décisions, y compris le choix des articles et des sujets d’éditorial (et sa rédaction), sont soumises au collectif de rédaction. Cette façon de fonctionner permet à la revue d’appliquer dans son quotidien les valeurs qu’elle prône.
Si les médias indépendants et progressistes ont longtemps su profiter d’internet et du numérique pour élargir leur auditoire, ils sont aujourd’hui mis à mal, surtout dans leur forme papier, par des médias sociaux régis par le seul profit maximal. Le bannissement récent par les plateformes Facebook et Instagram de l’ensemble des médias canadiens rend encore plus difficile la circulation d’idées de gauche et de regard critique. À bâbord ! n’a pu échapper à cet effacement et il ne nous est plus possible d’être actifs sur les réseaux sociaux appartenant à Meta. Cela limite significativement notre capacité à rejoindre notre lectorat et à promouvoir nos actions. D’un autre côté, cela pose la question de notre dépendance à ces espaces numériques pour faire circuler l’information. En ce sens, défendre une version papier au sein de la production médiatique permet de conserver un espace journalistique à l’extérieur de l’univers numérique.
Peu d’aide de l’État est à attendre pour défendre une information libre et critique. Il est de plus en plus difficile d’obtenir des subventions assurant le fonctionnement de la revue alors que de grosses productions médiatiques peuvent compter sur l’aide étatique. Ainsi, une subvention de Patrimoine Canada qui nous a grandement aidés ces dernières années nous a été enlevée parce que l’on considère que la revue ne satisfait plus un critère d’admissibilité basée sur le nombre de numéros vendus. À notre grand désarroi, les copies vendues en lot à des membres d’organisations comme les syndicats ne sont plus comptabilisées, alors même que ces ventes constituent un moyen de financement pour une revue politique comme la nôtre.
Due à cette coupe, À bâbord ! doit faire face à des difficultés financières et est forcée de faire une demande de subvention à un nouveau programme, avec la part d’incertitudes et de craintes que cette opération implique. La mise à pied brutale de l’équipe de la revue Relations montre aussi une tendance à vouloir faire taire les voix critiques proches des mouvements sociaux. Comment justifier le désintéressement de l’État pour le maintien d’une diversité dans l’univers médiatique québécois ?
Les temps sont difficiles, mais les vingt ans d’implication des membres de la revue d’À bâbord ! démontre que des groupes sont prêts à se battre pour maintenir un espace médiatique consacré aux mouvements sociaux et aux analyses politiques critiques ! Ainsi, bien qu’il soit difficile de fonctionner dans cet horizon, l’enthousiasme qui règne dans la revue pour ce projet est porteur d’espoir.
Si À bâbord ! a réussi à se maintenir pendant toutes ces années, c’est grâce à votre soutien. Nous vous en remercions chaleureusement. Nous espérons pouvoir compter encore davantage sur ce soutien, dans une campagne de sociofinancement que nous lancerons à la suite de la parution de ce présent numéro, dans le but de nous donner les assises financières qui nous permettront de continuer pendant des années encore.