Monsanto se paie la cour Suprême
par William Sloan
Le canola est une jolie plante cultivée massivement au Canada et qui sert à fabriquer de l’huile végétale et des aliments pour bestiaux. Le Roundup est un herbicide à base de glyphosate fabriqué par la société transnationale Monsanto, un géant de l’industrie mondiale de l’agroalimentaire. Le Roundup, disponible dans toutes les bonnes quincailleries, tue toutes les plantes… ou presque.
En 1993, Monsanto obtient un brevet au Canada pour les « Plantes résistant au glyphosate », qui couvre l’invention de gènes génétiquement modifiés ainsi que le procédé de leur insertion dans des plantes. Cela rend ces plantes résistantes au glyphosate (dont est composé le Roundup) et permet aux cultivateurs de tuer les mauvaises herbes en arrosant leurs champs avec le Roundup sans que les plantes génétiquement modifiées ne meurent. Le travail au sol pour enlever les mauvaises herbes, très coûteux, est donc éliminé.
En 1996, Monsanto commercialise au Canada des semences de Roundup Ready Canola, version OGM du canola qui résiste au glyphosate. Cette même année, 600 agriculteurs canadiens sèment 50 000 acres de Roundup Ready Canola. En 2000, environ 20 000 agriculteurs sèment 5 millions d’acres de Roundup Ready Canola, soit près de 40 % de tout le canola cultivé au Canada. Les fermiers doivent acheter leurs semences chaque année auprès d’un vendeur autorisé par Monsanto, vendre le produit au complet à un acheteur autorisé par Monsanto et payer à Monsanto une redevance. En 1998, cette redevance était de 15 $ l’acre. Monsanto recevait donc, en 2000, au moins 75 millions $ en redevances, avant même d’avoir vendu une seule graine de Roundup Ready Canola.
Perry Schmeiser opère une grande ferme en Saskatchewan depuis 50 ans. En 1998, il avait mis la main sur suffisamment de semences de Roundup Ready Canola pour semer 1 000 acres, mais sans passer par le processus de vente et redevance de Monsanto. La compagnie le poursuit alors pour contrefaçon de son brevet et dommages-intérêts. La Cour fédérale donne raison à Monsanto et le dossier se retrouve en Cour suprême.
Entretemps, en 2002, la Cour suprême rend jugement dans l’affaire Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets). Les scientifiques d’Harvard ont « inventé » une souris génétiquement modifiée, prédisposée au cancer. La « Harvard Mouse » est utilisée dans les recherches sur le cancer. Le brevet sur la souris comme telle est refusé parce qu’on ne peut breveter les formes de vie supérieures, y compris les plantes. Quatre juges, dont la Juge en chef McLachlin et Mme la juge Arbour, n’étaient pas d’accord avec ce jugement.
En 2004, deux nouveaux juges siègent à la Cour suprême, et la Juge en chef McLachlin peut réunir une majorité partageant sa position, même sans la juge Arbour. Il faut comprendre que les juges à la Cour suprême doivent appliquer les principes énoncés dans les jugements antérieurs. Mme Arbour a bien compris le principe. Elle applique donc le principe du « Harvard Mouse », selon lequel une forme de vie supérieure (une plante) ne peut être brevetée.
Mme la juge McLachlin, par contre, fait toutes sortes d’entourloupettes et de patinage artistique pour ne pas respecter le principe énoncé dans le « Harvard Mouse » et pour donner raison à Monsanto. Le problème de Monsanto est que son brevet ne couvre pas la plante, mais seulement les cellules qui contiennent le gène modifié. Or, ce que M. Schmeiser a fait, c’est de planter et replanter des graines de Roundup Ready Canola qui existent dans la nature. Il ne fait pas de commerce des semences et il vend le produit de sa culture aux mêmes fins et au même prix que du canola ordinaire. Les juges majoritaires montrent leur jeu quand ils déclarent que l’élément principal à considérer pour déterminer ce qui est protégé par le brevet est la valeur commerciale du monopole.
La Juge en chef déniche un vieux jugement où un machin breveté avait été inséré dans une machine, de façon à ce qu’on ne puisse plus faire fonctionner la machine sans le machin breveté. Elle déclare qu’il y a parallèle puisque les cellules résistantes au glyphosate sont partie intégrante du Roundup Ready Canola et ne peuvent être dissociées de la plante. C’est un « parallèle » pour le moins douteux. La machine qui contenait le machin breveté était brevetable, comme toute machine. Mais la plante, elle, qui est composée entièrement de cellules OGM, n’est pas brevetable parce que c’est une forme de vie supérieure. La Juge en chef déclare que les cellules OGM dans la plante de Roundup Ready Canola ont une « valeur latente », exploitée sans droit par Schmeiser.
Cette acrobatie éhontée, dont le but avoué est de protéger la valeur commerciale du monopole accordé par le brevet, i.e. les profits astronomiques de Monsanto, ne résiste pas à l’analyse. Dans une dissidence éloquente, Mme la Juge Arbour taille en pièces les arguments de la majorité. Elle applique le jugement de « Harvard Mouse » pour conclure que le brevet relatif au gène et à la cellule végétale ne confère pas des droits exclusifs sur la plante et toute sa descendance :
« Les plantes contenant le gène breveté ne peuvent avoir aucune valeur ou utilité latente, contrairement à ce qu’allèguent mes collègues. Toute conclusion contraire aurait pour effet de rendre applicable à la plante la protection conférée par le brevet. (...) Il ne s’agit pas de savoir si les appelants (Schmeiser) ont privé Monsanto de tous les avantages commerciaux de son invention, ou d’une partie de ceux-ci. »
En fait, le dicton appliqué par la Juge en chef et la Cour est vieux : « Ce qui est bon pour General Motors est bon pour le pays. » Permettre aux sociétés transnationales de s’accaparer le monopole effectif sur des espèces vivantes est un pas dangereux vers leurs visées de domination totale de la planète, aux fins seules d’en retirer le maximum de profits.