Barbara Ehrenreich
L’Amérique pauvre. Comment ne pas survivre en travaillant
lu par Gaétan Breton
Barbara Ehrenreich, L’Amérique pauvre. Comment ne pas survivre en travaillant, Grasset, 2004
U.S. Working Poors
Le sous-titre, Comment ne pas survivre en travaillant, résume parfaitement la démonstration faite ici par l’auteure. Journaliste, celle-ci a passé plusieurs mois à occuper des emplois mal payés en essayant de survivre sans apport d’argent extérieur. Elle n’y est pas parvenue.
Elle a occupé des emplois de serveuse dans un « fast food », de femme de ménage pour une agence et elle a même travaillé chez Wal-Mart. Dans tous ces emplois, et bien que sa voiture était déjà payée et qu’elle avait une petite mise de fonds au départ, elle n’est jamais parvenu à assurer sa subsistance à moyen terme, en dépit qu’elle n’ait aucune personne à charge.
En passant, elle nous décrit la vie infernale qui est le lot de toute une couche de la population qui n’arrive pas à se loger décemment et à s’assurer des soins de santé minimaux dans ce qui est sensé être le pays le plus riche du monde. Au niveau de la santé, la situation des travailleurs de la base est plus que préoccupante. Ils n’ont ni le temps ni les moyens financiers de se soigner, alors ils continuent à travailler malades jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus. On se croirait revenu aux belles années de la révolution industrielle, dans un roman de Zola.
Le pire dans tout cela, si tant est qu’on puisse encore en ajouter, est la répugnante pression idéologique que les patrons font peser sur les employés, les gardant dans une peur qui souvent confine à la terreur. On leur présente les syndicats comme de monstrueuses machines qui ne pensent qu’à collecter des cotisations qui appauvriront encore les travailleurs. Bref, les patrons accusent les syndicats de faire exactement ce qu’ils font eux-mêmes. Au moment où les employés de Wal-Mart tentent de se syndiquer au Québec, ce livre tombe à pic.
Pendant ce temps, les travailleurs de Wal-Mart, pardon les « associés », sont des clients habitués des banques alimentaires et n’ont pas les moyens d’acheter chez Wal-Mart. Évidemment, nous connaissons tous des « associés » qui n’ont pas l’air de vivre dans une si grande misère, mais seulement parce que leur revenu n’est qu’un revenu d’appoint. Aux États-Unis, ce revenu ne suffit pas à faire vivre une personne et encore bien moins une famille.
En substance, aux États-Unis, nous savions déjà que les Noirs avaient une espérance de vie inférieure à celle dont jouissent les habitants de plusieurs pays du tiers-monde, maintenant, nous devons ajouter que se crée un sous-prolétariat qui ne comprend pas que des africains-étatsuniens. D’ailleurs, les États-Unis s’apparentent de plus en plus au tiers-monde dans la mesure où s’y côtoient deux couches de personnes qui ne vivent absolument pas de la même façon, n’ont pas du tout les mêmes ressources et ne peuvent pas assumer leurs rôles de citoyens d’une manière minimalement comparable. L’Amérique pauvre nous montre que ce pays qu’on nous présente de plus en plus comme l’étalon de mesure de la réussite économique et politique est de plus en plus une catastrophe sociale et démocratique.