Star-Bock-Côté : L’empire de Mathieu

No 088 - été 2021

Star-Bock-Côté : L’empire de Mathieu

Pierre Avignon

Attention, Mathieu Bock-Côté (MBC) est un érudit, docteur en sociologie de l’UQAM, il enchaîne les référencesplus vite que son ombre. Comme Mark Fortier, qui a passé une année à le lire [1], nous pensons donc qu’il faut prendre la peine de le lire (un peu) pour mieux le comprendre, puis le critiquer.

« Le politiquement correct est un dispositif inhibiteur ayant pour vocation d’étouffer, de refouler ou de diaboliser les critiques du régime diversitaire » (p. 32). Telle est la définition que donne MBC du titre de son dernier ouvrage, L’empire du politiquement correct  [2] dans lequel il tente de démontrer l’existence d’une hégémonie du discours diversitaire, notamment dans les médias et au sein de la gauche. L’auteur, qui se sent en quelque sorte victime de ce régime, considère que cette hégémonie provoque un basculement de l’identité vers la diversité, de la nation vers le multiculturalisme et de l’homogène vers l’hétérogène. Il précise : « Ce régime n’est pas sans finalité : de la dissolution des nations à l’abolition des frontières, de la déconstruction des appartenances traditionnelles à l’indifférenciation entre les sexes […] elle ébauche un programme qui est celui d’un changement de civilisation ».

Se distinguant d’une droite qu’il qualifie de libérale, promondialisation et visant l’adaptation au changement, MBC se réclame d’une droite conservatrice défenderesse de la stabilité. Sa condamnation de l’ouverture débridée des marchés et de ses effets sur les démocraties occidentales rejoint ainsi, même si cela peut paraître surprenant, certaines critiques formulées par la gauche altermondialiste.

L’empire contre-attaque : les failles du tribun

C’est justement là l’une des premières failles du tribun. Alors qu’il s’affaire à décortiquer les différentes tendances des idéologies de droite, il n’a de cesse d’homogénéiser les pensées de gauche. Il est évident que MBC n’a pas participé aux débats que l’on retrouve au sein des mouvements progressistes (dont témoigne, par exemple, le dossier sur le politiquement correct publié dans À bâbord ! [3]). Il est cependant plus étonnant que le sociologue fasse abstraction des conflits idéologiques historiques au sein de la gauche. Celui qui fait l’éloge du débat propose donc un raccourci presque frauduleux à ses lecteur·trice·s pour mieux appuyer ses propos.

Une deuxième faille importante du tribun est l’absence de relevé méthodologique sérieux de la trop grande présence médiatique du « discours diversitaire ». Alors que MBC dispose de tribunes en France, par exemple dans Le Figaro, et au Québec, notamment dans le Journal de Montréal, la lecture de son livre ne nous permet pas de savoir si l’empire du politiquement correct existe réellement. Les quelques références québécoises ne s’attardent qu’à Radio-Canada alors que Québecor, l’employeur de MBC, touche 46 % des lectrices et lecteurs de quotidiens au Québec et possède 38,4 % des cotes d’écoute de la télévision en français [4]

La menace fantôme et l’imaginaire de Mathieu

L’empire actuel n’est donc sans doute pas celui que craint MBC. Comme le précise Mark Fortier, pour bien comprendre cela, il faut mettre en lumière les sujets qu’il laisse dans l’ombre. « MBC habite un pays sans vallées ni rivières, sans monts ni villages […] sans poètes, ni ouvriers, et […] angoissé par des mirages, il s’inquiète de disparaître. Je l’ai lu et écouté en détail, sans doute mieux que lui-même s’est lu et écouté. Je sais les spectres qui l’angoissent, mais je n’ai toujours pas compris quel est le monde qu’il désire si violemment conserver ». L’intellectuel médiatique conservateur aime l’histoire des grands hommes et des nations, mais ne se préoccupe guère des hommes et des femmes qui composent les peuples, ni des territoires qu’ils et elles habitent.

Notre chroniqueur vedette ne semble pas non plus faire grand cas de la présence à la tête du gouvernement du Québec d’un parti qui est loin de refléter une quelconque hégémonie de la pensée diversitaire.


[1Mélancolies identitaires : une année à lire Mathieu Bock-Côté, Montréal, Lux, 2019, 176p.

[2Paris, Cerf, 2019, 304 p. 

[3« Mini-dossier : La rectitude politique en débat », À bâbord !, no 85, automne 2020, p.24-33. Disponible en ligne : ababord.org

Thèmes de recherche Analyse du discours, Livres
Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème