Tristan Péloquin
Faire ses recherches. Cartographie de la pensée conspi
Tristan Péloquin, Faire ses recherches. Cartographie de la pensée conspi, Québec Amérique, 2022, 194 p.
Faire ses recherches est le fruit de deux ans d’enquête du journaliste de La Presse, Tristan Péloquin, sur les principaux acteurs de la mouvance conspirationniste québécoise. Comme le sous-titre du livre l’indique, l’auteur nous offre un tour d’horizon fort instructif de ce courant : le parcours et les idées d’Alexis Cossette-Trudel, Mario Roy, Stéphane Blais et Maxime Ouimet, entre autres, nous sont amenés tour à tour.
Ce travail de recherche et de divulgation a valu à Péloquin d’être l’objet de menaces, de harcèlement et de doxxing (divulgation de son numéro de téléphone privé) de la part de personnes ciblées par ses articles. Ce fut aussi le cas pour Camille Lopez, Xavier Camus et quelques autres ; comme quoi le simple fait de jeter un éclairage sur les pratiques délétères de ces mouvements xénophobes, autoritaires et antiscience plonge ses principaux leaders dans l’inconfort. En cela, il s’agit donc d’un travail à la fois courageux et utile pour quiconque a à cœur le maintien de bases démocratiques et respectueuses des droits dans notre société. C’est d’ailleurs tout à l’honneur de Péloquin de saluer la contribution d’informateurs discrets, parfois proches des antifascistes, à son travail.
Là où le livre déçoit, cependant, c’est dans l’analyse des causes du phénomène et des manières d’y répondre. On retient principalement que ces mouvements « prennent naissance dans les coins les plus sombres de l’internet » et forme « une contre-culture malsaine engendrée dans les chambres d’écho que sont devenus les réseaux sociaux ». Ces lieux communs sont souvent répétés dans les médias d’information, mais rarement démontrés. Hélas, c’est le cas ici aussi : pensons par exemple à la responsabilité d’autres types de médias (notamment une entrevue complaisante offerte à Alexis Cossette-Trudel dans le journal Le Devoir ou le rôle de certaines radios d’opinion de Québec) qui est à peine évoquée.
Surtout, les causes politiques de cette ascension auraient mérité d’être davantage investiguées. Péloquin mentionne à l’occasion les liens qu’ont entretenus certains de ces leaders avec des groupes comme La Meute, Storm Alliance et Atalante, mais l’articulation entre des discours et organisations nationalistes identitaires et islamophobes et ceux portant sur la pandémie n’est malheureusement pas creusée significativement.
Les quelques solutions évoquées en fin d’ouvrage laissent également sur notre faim. L’auteur souligne à juste titre la nécessité d’intervenir sur les algorithmes des médias sociaux de manière à réduire leur influence, et heureusement, il ne souhaite pas faire des GAFAM des polices de l’espace numérique. Péloquin presse aussi le système de justice de revoir son approche, mais il aurait été salutaire de s’interroger sur l’état de nos institutions de manière générale : que faire pour réduire le fossé grandissant entre les médias dits traditionnels et la science d’une part, et une portion significative de la population d’autre part ?
Bref, si Faire ses recherches remplit bien son mandat de cartographier un courant d’extrême droite qu’il est nécessaire de surveiller, il nous offre peu de pistes concrètes permettant de comprendre et de stopper sa progression.