International
Le rôle du gouvernement canadien an Ayiti
Ayiti s’embourbe dans un cycle de crises à répétition. Les services publics sont détruits, l’économie criminelle s’impose et bloque tout développement de l’économie nationale, la pauvreté extrême s’approfondit, les élites sont incapables de résoudre les problèmes globaux par leurs propres moyens. Le Canada, sous le couvert de l’aide internationale, joue un rôle dans le maintien de l’occupation d’Ayiti.
Ces crises s’inscrivent aussi dans un contexte mondial caractérisé par l’internationalisation accentuée du capital et l’aggravation alarmante de la crise environnementale. La communauté internationale a une volonté plus ou moins affichée de renforcer l’occupation d’Ayiti pour consolider ses positions géopolitiques. Ces crises s’inscrivent aussi dans un contexte mondial caractérisé par l’internationalisation accentuée du capital et l’aggravation alarmante de la crise environnementale.
Le Canada, pour des raisons historiques, se voit lui-même et est vu par les membres du Core Groupe – un groupe consultatif regroupant les ambassadeurs de l’Allemagne, le Brésil, le Canada, l’Espagne, les États-Unis, la France et de l’Union européenne – comme l’entité idéale pour asseoir le dispositif adéquat.
Engagés à fond dans leur effort de guerre au Moyen-Orient et en Afrique, les États-Unis d’Amérique du Nord et l’Union européenne se sont relativement désengagés dans les Caraïbes, modifiant ainsi le rôle géostratégique de cette région. C’est précisément le vide laissé aujourd’hui dans la région par ces deux grands acteurs mondiaux que le Canada, membre à la fois du Commonwealth et de la Francophonie, essaie de combler, en jouant la carte de la coopération avec Ayiti, dont les liens sont particulièrement étroits du fait notamment de la présence massive d’Ayitien·nes au Québec.
L’aide canadienne est principalement orientée vers les ONG et parallèlement remet en question les capacités de l’État ayitien à en assurer la gestion. Pour bien comprendre cette dynamique, il importe de brosser un portrait historique des relations entre Ayiti et le Canada et faire un survol rapide de la situation actuelle.
Survol historique des relations canado-ayitiennes
Les premières relations diplomatiques entre Ayiti et le Canada datent de 1937 et vont s’officialiser en 1954. Elles se renforcent au fil des ans, notamment avec la présence significative de la diaspora ayitienne au Canada, en particulier au Québec.
Dès les années 30, le Canada devient une destination d’étude pour de nombreux étudiant·es ayitien·nes. L’immigration ayitienne au Canada se poursuit par vagues successives à partir des années 1960. Les premières cohortes sont constituées de militant·es politiques, d’intellectuel·les, d’artistes et professionnel·les poussé·es à l’exil par la dictature féroce de Duvalier. Dans les années 1970, ce sont des travailleur·euses et des ouvrier·ères qui fuient Ayiti pour venir s’installer au Canada à cause des politiques intenses d’ajustement structurel qui déstructurent l’économie ayitienne. Depuis, l’afflux de migrant·es ayitien·nes (avec ou sans papier) et de réfugié·es n’a cessé de croître ce, en dépit des difficultés auxquelles ils et elles sont confronté·es et des épreuves qu’ils et elles subissent.
Les relations entre Ayiti et le Canada se développent également à travers les organisations canadiennes qui œuvrent directement en Ayiti. La pénétration économique du Canada en Haïti s’accentue avec la présence d’hommes d’affaires et de compagnies canadiennes (Icart, 2007). Les intérêts d’entreprises canadiennes pour l’exploitation de gisements d’or et de cuivre sont connus. D’ailleurs, en 1997, deux conventions minières ont été signées (sanctionnées en 2005, un moratoire a été imposé en 2013 par le Sénat Ayitien) entre le gouvernement ayitien et deux sociétés minières, filiales de sociétés canadiennes basées à Montréal. Mais, les relations commerciales bilatérales entre Ayiti et le Canada sont peu significatives.
Rôle du Canada en Ayiti
Depuis 2004, le Canada joue un rôle actif et significatif dans la mise sous tutelle d’Ayiti et sa perte de souveraineté. Différentes missions dites de stabilisation et de maintien de la paix sont déployées en Ayiti depuis plus de 20 ans. Les Forces armées canadiennes et des forces policières civiles ont fait partie des Casques bleus des différentes missions de l’ONU en Ayiti. Le Canada préside le Groupe consultatif ad hoc du Conseil économique et social des Nations Unies sur Ayiti (ECOSOC-AHAG), sans oublier le rôle qu’il joue aussi auprès des instances internationales comme OEA et OIF. Créé en 1999, l’ECOSOC-AHAG a pour mission de faire des recommandations en vue d’une meilleure adéquation, cohérence, coordination et efficacité de l’assistance (aide) internationale à Ayiti. Cette structure est réactivée en novembre 2004 et depuis, le Canada en assure la présidence.
Ce groupe consultatif ad hoc sur Ayiti demande en juillet 2022 au Conseil de sécurité des Nations Unies l’extension du mandat du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) [1] , qui a pour mandat « appui à bonne gouvernance, stabilité, professionnalisation de la police, réduction de la violence communautaire et de la violence des gangs ». Ce mandat a été actualisé et sera en vigueur jusqu’en juillet 2023.
En outre, les fonds de développement canadiens sont principalement orientés vers la sécurité, ce qui se traduit par le renforcement de la police et d’autres organismes de justice pénale, faisant ainsi de la réforme de la police un objectif majeur de la politique étrangère du Canada. Pourtant, la réforme de la police a un côté sombre qui peut étendre la violence, la corruption et l’impact néfaste que les pratiques surannées de justice pénale peuvent avoir sur la cohésion communautaire.
À ce propos, Davis [2] explique comment le côté obscur qui accompagne l’imposition de transitions démocratiques préemballées se traduit souvent par la violence et la détérioration de l’État de droit. Il est notable que l’aide fournie par le Canada et les Nations Unies en Ayiti était basée sur la formation et la distribution de technologies aux membres de groupes paramilitaires qui ont comblé un vide de pouvoir après la destitution d’Aristide et qui sont devenus membres de la Police nationale d’Ayiti.
Ce nouveau rôle hégémonique du Canada se manifeste à travers sa participation et sa contribution à la constitution du Core Groupe. Le Canada, aujourd’hui, prend la direction des opérations sous la houlette de l’Oncle Sam.
Interventions directes dans les affaires internes
Aujourd’hui, Ayiti fait face à une « guerre de basse intensité », une guerre larvée liée à la manière dont les richesses vont être distribuées. Il ne s’agit pas d’une guerre conventionnelle, même si on est exposé à des formes d’agressions qui s’approchent et s’apparentent à une situation de guerre.
Le gouvernement canadien est de plus en plus à l’avant-scène et prend des initiatives claires de contrôle et de domination d’Ayiti. Il a soutenu différents gouvernements fantoches, décriés, illégitimes, illégaux ou inconstitutionnels, qui depuis 2010 renforcent la formation ou le renforcement de gangs criminalisés. Très peu a été dit sur les massacres, des centaines de kidnappings sur la population ruinant la classe moyenne, paupérisant davantage les classes populaires, semant le deuil et le désespoir dans les familles ; rien n’a été dit sur les répressions systématiques et sauvages de la police nationale formée aux bons soins des forces canadiennes sur les manifestant·es.
En résumé, les interventions canadiennes à ce jour ne visent qu’à encourager un ordre social d’apartheid dans lequel les classes populaires sont mises hors de la sphère de la prise des décisions politiques, économiques et sociales du pays en ignorant les solutions alternatives endogènes et en priorisant le statu quo.
[1] Le mandat a été établi par la résolution 2476 du Conseil de sécurité du 25 juin 2019 et déployé sous le Chapitre VI de la Charte des Nations Unies.
[2] D. Davis, « Undermining the Rule of Law : Democratization and the Dark Side of Police Reform in Mexico » Latin American Politics and Society, 48, no 1 (2006)