Crise du logement : tout va très bien, madame la ministre
Alors qu’une grave crise du logement sévit au Québec, frappant durement les personnes locataires, les élu·e·s et les représentants des propriétaires immobiliers se relaient pour nous assurer que tout va pour le mieux. Que révèlent ces discours, et que leur répondre ? Propos recueillis par Alexis Ross.
À bâbord ! : Tout d’abord, brièvement, à quoi ressemble la crise du logement ? Et comment contribue-t-elle à aggraver des inégalités préexistantes ?
Maxime Roy-Allard : La crise sévit sur plusieurs fronts. D’abord, elle frappe durement l’abordabilité des logements. Les loyers connaissent une réelle flambée depuis plusieurs années. Un quatre et demi à louer coûte désormais en moyenne plus de 1 300 $ par mois à Montréal et 1000 $ dans la province. Cela a évidemment des conséquences directes sur le budget des ménages. Les locataires doivent trop souvent couper dans leurs autres besoins de base pour réussir à payer le loyer chaque mois. Il suffit d’une bad luck pour se retrouver en situation de non-paiement de loyer et de risquer une éviction.
Ensuite, la rareté des logements est un autre bon indicateur d’une crise du logement. Dans la plupart des régions du Québec, les logements se font très rares, les taux d’inoccupation sont autour de 1 % ou 2 % (alors qu’on juge que le taux d’équilibre est de 3 %). Et ces taux sont faussés dans plusieurs villes en raison d’une forte disponibilité de logements neufs, donc significativement plus chers. Ainsi, quand on regarde le nombre de logements disponibles qui sont abordables, on est souvent près de 0 %.
Tout cela se traduit aussi en une forte discrimination par les propriétaires, car ils ont le « luxe » de choisir leurs locataires. Les gens se font discriminer en raison de leur condition sociale, de leur origine ethnique, de la présence d’enfants, etc. Or, ce sont tous des motifs de discrimination interdits en vertu de la Charte québécoise.
ÀB ! : Quels sont les pires mensonges ou demi-vérités qu’aiment répandre les associations de propriétaires pour dénier l’existence d’une crise du logement ?
M. R.-A. : Les associations de propriétaires sont très habiles quand vient le temps de cadrer les débats sur le logement. À les écouter, on penserait que l’immobilier n’est pas payant et que les locataires sont rois et maitres. Ces lobbys utilisent abondamment des sondages « maison », effectués auprès de leurs membres, pour répandre des demi-vérités voulant par exemple que les taux d’inoccupation soient plus élevés que les chiffres officiels. Ils affirment également sur toutes les tribunes que les loyers n’augmentent pas assez rapidement et que cela empêche les propriétaires de rénover leurs logements. Or, jamais ils ne précisent que l’immobilier est très payant sur le moyen et le long terme, lorsqu’on revend les immeubles, ni que la plupart des propriétaires ne respectent pas les taux d’augmentation de loyer suggérés par le Tribunal administratif du logement.
ÀB ! : Quelle est la part de responsabilité des propriétaires dans la crise actuelle, et comment en profitent-ils ?
M. R.-A. : Ils profitent abondamment de la crise pour déloger les locataires et augmenter leurs profits. On voit de plus en plus de tactiques comme les rénovictions, des pratiques malhonnêtes et souvent frauduleuses qui visent à obtenir le départ des locataires dans le but d’augmenter rapidement les loyers. Ce qui est décourageant, c’est que les propriétaires sont très originaux quand vient le temps de déjouer la loi afin d’évincer les locataires. Alors que ça peut prendre des années pour convaincre les gouvernements de renforcer la loi, les propriétaires réinventent constamment leurs pratiques pour augmenter leurs profits et bafouer les droits des locataires.
ÀB ! : Quand Andrée Laforest, ministre responsable de l’Habitation, dit qu’« on n’est pas du tout dans une situation de crise du logement », ou quand François Legault affirme que les logements coûtent 500 $ à Montréal, est-ce de la « déconnexion », comme l’ont dit plusieurs, ou est-ce plutôt une stratégie calculée de déni ? Qu’est-ce que le gouvernement aurait à gagner à nier une crise qui frappe si durement la population ?
M. R.-A. : Nier la crise du logement a d’abord un côté pratique pour le gouvernement du Québec : cela le dédouane d’entreprendre toute action pour régler ladite crise. De plus, il n’est pas très surprenant que la CAQ refuse de reconnaître le problème, quand on sait que l’électorat du parti est fortement composé de propriétaires : très peu de comtés caquistes ont une forte proportion de locataires. Il est donc facile pour le gouvernement Legault de nier le problème sans avoir peur pour les prochaines élections. Le déni de la CAQ est aussi idéologique : parler de crise ouvrirait la porte à une ingérence de l’État dans le marché de l’habitation. Et qui dit ingérence dans le marché dit réduction des profits pour les propriétaires bailleurs (locateurs).
ÀB ! : François Legault affirme qu’en matière de logement, « la loi fonctionne très bien » : si c’est bien le cas, alors on peut imaginer que la loi n’a tout simplement pas pour but de protéger les droits des locataires. À quoi sert-elle ?
M. R.-A. : Le problème avec la vision des gouvernements lorsque vient le temps de considérer les problèmes de logement, c’est que leur prémisse de base est que le logement locatif est d’abord et avant tout un investissement. Cette conception du logement entre directement en contradiction avec le droit au logement. Chaque avancée pour les droits des locataires est donc perçue comme un recul pour la capacité des propriétaires immobiliers à faire du profit. Tant et aussi longtemps que cette conception dominera les politiques de logement des gouvernements, il sera très difficile d’avoir des avancées substantielles pour les locataires.
C’est notamment pour ces raisons qu’il faut voir le logement sans but lucratif comme une avenue importante pour garantir le droit au logement. Mais d’ici à ce qu’il y ait plus de logements sociaux, il faut s’assurer que les droits des locataires soient mieux protégés, notamment en matière d’éviction et de hausse de loyer.
ÀB ! : Si les rapports entre propriétaires et locataires sont inégaux, et que les premiers semblent avoir la sympathie du gouvernement, comment peut-on espérer renverser la situation ?
M. R.-A. : Si ce n’était des comités logement, des associations de locataires et des autres organisations de lutte pour le droit au logement, il est clair que la situation des locataires au Québec serait bien pire actuellement. Bien que peu de victoires significatives ont été gagnées au fil des années, ces groupes ont bloqué de nombreuses réformes qui auraient fait très mal à l’accès au logement.
Il faut donc continuer d’organiser la lutte pour le droit au logement à tous les niveaux, que ce soit dans les blocs de logement, dans les quartiers, dans les villes et au niveau provincial et national. Beaucoup reste à faire pour qu’un véritable mouvement social pour le droit au logement voie le jour au Québec, mais la crise actuelle nous montre que le vent est en train de tourner, que de plus en plus de personnes s’intéressent à ces questions. La mission d’un organisme comme le RCLALQ est justement de canaliser ces forces pour arriver à l’amélioration des droits des locataires et du droit au logement.
La réponse des groupes de locataires aux discours des propriétaires et du gouvernement est de montrer que la crise du logement n’est pas simplement épisodique ni uniquement fondée sur le taux d’inoccupation. La crise perdure depuis déjà très longtemps. On en parle plus actuellement car ça touche de plus en plus la classe moyenne, mais les ménages à faible revenu sont affectés par les problèmes de logements de façon chronique. Le rôle des comités logement est justement de porter la parole des locataires qui ont rarement un écho sur la place publique, par exemple en sortant dans la rue. Pour nous, il y aura crise du logement tant et aussi longtemps que le logement sera vu comme un outil pour faire du profit.