Culture
Ma-Nee Chacaby. De survivante à guérisseuse
Ma-Nee Chacaby, l’autrice du livre Un parcours bispirituel. Récit d’une aînée ojibwé-crie lesbienne était à Montréal en mai dernier pour le lancement de la traduction française de son livre paru aux Éditions du remue-ménage cette année.
Ma-Nee a rencontré ses lecteurs et lectrices à deux événements organisés à l’Université Concordia et à la librairie féministe l’Euguélionne. Elle y a évoqué à plusieurs reprises l’importance de sa relation avec sa grand-mère Leliilah dans son parcours de vie et le rôle que celle-ci a joué dans la transmission de ses savoirs et des valeurs qui ont guidé sa route d’adulte.
D’ailleurs, c’est l’histoire de Leliilah qui introduit son récit de vie dans le livre. Cette femme crie née durant les années 1860 dans ce qui allait devenir la Saskatchewan d’aujourd’hui était une grand-mère bienveillante qui lui portait un amour inconditionnel. Leliilah était aussi la seule adulte dans la vie de Ma-Nee à ne pas être aux prises avec des problèmes de toxicomanie et d’alcoolisme. Elle a été sa première source d’enseignement notamment sur les personnes bispirituelles, avant qu’elle ne se rende compte à l’âge adulte qu’elle en faisait elle-même partie.
Un voyage douloureux et émouvant
Dans un style qui emprunte aux traditions orales transmises par sa grand-mère, Ma-Nee raconte avec une honnêteté frappante sa jeunesse bouleversée par les tragédies, son mariage forcé, la violence et les abus de son mari, son alcoolisme, sa fuite à 20 ans avec ses enfants à Thunder Bay et son combat pour atteindre la sobriété. Son parcours d’autoguérison la mène vers une nouvelle vie de militantisme où elle s’engage en tant qu’intervenante auprès de sa communauté ainsi que dans le mouvement LGBTQ2S.
À travers son introspection et l’exploration des traumatismes intergénérationnels, Ma-Nee transcende son histoire personnelle pour offrir aux lecteurs et lectrices tout le contexte social et culturel qui permet de porter un regard nuancé sur le passé récent du Canada. En trame de fond, elle nous amène à comprendre les effets structurels et durables du colonialisme et plus particulièrement les violences genrées envers les femmes autochtones.
En faisant partie des premiers aînés LGBT à avoir publié sa vie, Chacaby ouvre la voie à tous les jeunes autochtones qui pourraient s’identifier à son histoire, particulièrement ceux et celles qui ont été victimes de maltraitance, de handicap, de pauvreté et qui continuent à vivre les effets de la colonisation.
Durant ses rencontres à Montréal, Chacaby a insisté sur l’importance de partager son histoire non seulement dans une perspective thérapeutique pour soulager sa propre douleur, mais aussi pour la transmettre aux plus jeunes de sa communauté dans le but de les sortir de leur solitude. « Mon objectif était de partager la vérité sur ce qui m’était arrivé, sur ce qui s’était passé dans ma communauté et sur les savoirs que ma grand-mère aurait voulu que je partage avec d’autres personnes », a-t-elle dit.
Ma-Nee continue son travail de terrain de transmission et de guérison. Elle travaille actuellement avec plusieurs groupes de jeunes à Thunder Bay, à Toronto et à Winnipeg. Avec l’aide d’un ami du Centre jeunesse de Thunder Bay, Chacaby y a lancé un projet de sensibilisation au suicide auquel participent plus d’une cinquantaine de jeunes.
Malgré la dureté de plusieurs chapitres où l’autrice décrit toute la violence et les abus qu’elle a subis, son livre reste une ode à l’espoir. Par sa résilience et son courage, Ma-Nee s’attaque à la fatalité et rompt le cycle des traumas intergénérationnels qui ont accompagné toute sa lignée. Elle nous offre ainsi un récit inestimable, car d’une grande rareté, qu’elle a écrit grâce à l’aide de son amie de longue date, Mary Louisa Plummer.
Ma-Nee Chacaby et Mary Louisa Plummer ont d’ailleurs remporté pour cet ouvrage le prix Alison Prentice, qui récompense le meilleur livre en histoire des femmes ontariennes, pour l’année 2017.